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tement rendu compte qu’il y avait à cette anomalie une raison plus profonde, inhérente à la nature même du principe[1]. Cette raison, pour nous, découle aisément de ce qui précède. Nous avons vu, en effet, que non seulement les principes de conservation, mais encore les énoncés de la science en général sont conçus avec la préoccupation constante, bien que latente, de la causalité, de l’identité dans le temps. D’où la tendance à donner, à la règle qui détermine les modalités du changement, une forme qui fasse ressortir ce qui demeure à travers le changement, tendance qui se manifeste extérieurement par l’équation, où ce changement se trouve pour ainsi dire supprimé, escamoté. Le principe de Carnot est au contraire clairement un énoncé non de conservation, mais de changement. Il affirme non pas une identité, même apparente, mais une diversité. Étant donné un état, ce principe établit qu’il doit se modifier et dans quelle direction. C’est un principe du devenir, des Geschehens, comme le dit fort bien M. Ostwald à propos du principe de M. Helm, employant un terme qui n’a pas d’équivalent exact en français. C’est là son originalité et c’est ce qui explique sa grande fécondité dans la science.

À l’encontre des illusions d’identité que les théories mécaniques, les principes de conservation et même la forme des lois en général tendent à faire naître, le principe de Carnot stipule que l’univers entier se modifie avec le temps, dans une direction constante. C’est ce que Clausius a formulé avec beaucoup de netteté : « On entend fréquemment dire que tout dans le monde a un cours circulaire. Pendant que des transformations ont lieu dans un sens, en un lieu déterminé et à une certaine époque, d’autres transformations s’accomplissent en sens inverse, dans un autre lieu et à une autre époque, de sorte que les mêmes états se reproduisent généralement et que l’état du monde reste invariable, quand on considère les choses en gros et d’une manière générale. Le monde peut donc continuer à subsister éternellement de la même façon. — Quand le premier principe fondamental de la théorie mécanique de la chaleur fut énoncé, on pouvait peut-être le considérer comme une confirmation éclatante de l’opinion mentionnée… Le second principe fondamental de la théorie mécanique de la chaleur contredit cette opinion de la manière la plus formelle… De là résulte que l’état de l’univers doit

  1. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 162.