Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/265

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

température égale ou un équilibre de température : c’est bien « l’axiome de Clausius ».

Cette manière d’être des corps chauds nous apparaît en même temps comme très particulière. Si nous considérons un corps rond ou rouge, sa qualité nous fait sans doute l’effet de quelque chose qui peut changer sans que la substance du corps se modifie ; ce sont, selon la terminologie scolastique, des accidents. Mais ces accidents ne portent en eux-mêmes aucune tendance au changement. Il n’en est pas ainsi de la chaleur ; deux corps de température diverse mis en présence, au lieu de conserver chacun sa qualité, réagissent immédiatement l’un sur l’autre, tendent à modifier chacun sa propre qualité et celle de l’autre. Il y a donc là une tendance vers la modification de ce qui existe, dans le sens d’un état futur non réalisé et que nous désignons par le terme d’équilibre. Que Carnot ait reconnu (plus clairement peut-être que Clausius et que beaucoup d’entre ses successeurs) la généralité et la nature précise du principe à ce point de vue, c’est ce que M. Mouret a clairement établi[1]. Assez récemment, M. Helm a formulé un principe en apparence plus général que celui de Carnot[2] ; des savants tels que M. Ostwald[3] et des philosophes tels que M. Lasswitz[4] ont paru y attribuer une grande importance. Sans vouloir contester qu’il y ait là une tentative intéressante au point de vue de la précision et du parallélisme de certaines nomenclatures, ce principe ne nous semble pas, cependant, ajouter grand’chose à la notion de l’établissement ou du rétablissement de l’équilibre de Carnot.

Le principe de Carnot se distingue nettement, par sa forme extérieure, des énoncés habituels de la science. Principes ou lois se formulent généralement comme des égalités ; or, il n’est pas possible de réduire le principe de Carnot à cette forme. Les physiciens qui l’ont constaté en ont manifesté parfois quelque gêne, au point qu’on a essayé d’atténuer ce qui apparaissait presque comme une anomalie choquante, en faisant remarquer que la précision des lois est toujours limitée par des erreurs d’observation. Mais M. Poincaré s’est parfai-

  1. G. Mouret. Sadi Carnot et la science de l’énergie. Revue générale des sciences, vol. III, 1892, p. 467 ss.
  2. Cf. Georg Helm. Die Lehre von der Energie. Leipzig, 1887, p. 61 ss.
  3. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 246-265.
  4. Lasswitz. Wirklichkeiten, 2e éd. Leipzig, 1903, p. 105 ss.