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qu’il y ait deux sources, une source chaude et une source froide. Par cet énoncé, on voit peut-être plus directement encore que par celui de M. Duhem que ce principe repose sur ce que M. Poincaré appelle « l’axiome de Clausius » : « On ne peut faire passer de chaleur d’un corps froid sur un corps chaud. » C’est sous cette forme que Clausius a énoncé tout d’abord ce que nous désignons comme le principe de Carnot. On pourrait peut-être l’appeler aussi l’axiome de Carnot, car si Carnot ne l’a pas formulé en ces termes, c’est sans doute parce qu’il le considérait comme suffisamment évident en lui-même ; mais ou ne saurait contester que ce ne soit là le véritable fond de son opuscule, ainsi qu’il appert notamment de la comparaison qu’il établit entre la hauteur d’une chute d’eau et la différence de température entre deux corps[1].

Cette assimilation très profonde qui est, comme on sait, la véritable clef de voûte de la thermodynamique nous permettra de reconnaître la nature de cet « axiome ». Est-il ce que Leibniz appelait une vérité « de raison » ?

Nous avons vu que la gravitation des corps, leur tendance à se rapprocher de la terre, ne se déduit aucunement de considérations de masse et de mouvement ; il en est de même pour notre proposition. Les physiciens, conscients du rôle considérable que les théories cinétiques ont joué dans le domaine de la thermodynamique, ont souvent, très justement du reste, fait ressortir que le principe de Carnot en est complètement indépendant et que les suppositions sur la nature mécanique de la chaleur n’ont nullement contribué à le faire découvrir[2]. Nous verrons même tout l’heure que, comme pour

  1. S. Carnot, loc. cit., p. 28.
  2. Duhem, l. c., p. 362. — Hannequin (l. c., p. 140-141) a été au contraire d’avis que le principe de Carnot aurait dû être prévu par la théorie mécanique, étant donné que l’espace offre aux atomes la possibilité de s’enfuir. — Sans doute, des progrès dans la déduction sont possibles, témoin les mathématiques : mais dans les sciences physiques, où il s’agit de déductions peu compliquées, on fait bien, en thèse générale, de se méfier de ces conclusions qu’affectionnait Herbert Spencer et qui impliquent plus ou moins l’inintelligence de ceux qui ont raisonné dans le passé. Si la chose n’a pas été prévue, il y a gros à parier qu’elle était impossible à prévoir, c’est-à-dire qu’il n’y a pas là une déduction pure, mais qu’il y entre des éléments empiriques. — Par le fait, les atomistes, s’ils supposaient l’espace infini, posaient en même temps, du moins implicitement, une infinité actuelle d’atomes, de sorte que ceux qui s’enfuyaient étaient remplacés par d’autres venant de l’infinité de l’espace. Cf. Lucrèce, l. I, v. 1050 : Infinita opus est vis undique materiai, qui sert précisément de conclusion à une démonstration où la nécessité d’un nombre infini d’atomes est déduite de la persistance des lois et des choses dans le temps.