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en même temps qu’elle. Dès le début de la science, nous le trouvons constitué, prêt, y compris ce dernier terme, l’unité de la matière. On a prétendu écarter l’analogie entre les atomes des anciens et les nôtres, en affirmant que les premiers étaient chimériques alors que l’existence des seconds serait démontrée expérimentalement : nous savons qu’il n’existe, à ce point de vue, entre les uns et les autres, que des différences de degré. Le mécanisme n’a pas pour origine l’expérience, ses racines plongent dans ce qui est la base de la science elle-même, dans ces notions métaphysiques initiales qui conditionnent notre savoir tout entier. Spinoza l’a clairement aperçu quand, à l’encontre de Boyle, il a affirmé que le mécanisme se démontre par « la raison et le calcul », et non pas par des expériences de chimie[1] ; Leibniz, sur ce point comme sur bien d’autres, s’est trouvé d’accord avec lui et, par exception, il l’a même expressément reconnu : « Spinoza (que je ne fais point de difficulté de citer quand il dit de bonnes choses) dans une de ses lettres à feu M. Oldenbourg, secrétaire de la Société royale d’Angleterre, imprimées parmi les œuvres posthumes de ce juif subtil, fait une réflexion approchante sur un ouvrage de M. Boyle[2] qui s’arrête un peu trop, pour dire la vérité, à ne tirer d’une infinité de belles expériences d’autre conclusion que celle qu’il pourrait prendre pour principe, savoir que tout se fait mécaniquement dans la nature, principe qu’on peut rendre certain par la seule raison et jamais par les expériences, quelque nombre qu’on en fasse[3] ».

Le mécanisme et son aboutissement ultime, la réduction de la réalité au néant, font partie intégrante de la science : c’est que celle-ci, en effet, ne saurait se soustraire complètement à la domination du principe d’identité qui est la forme essentielle de notre pensée. Mais loin de se prêter passivement à ses dictées, elle y résiste avec force, ainsi que nous allons le voir.


  1. Spinoza. Opera, vol. II. Ep. VI (à Oldenburg).
  2. Il s’agit probablement du traité intitulé The Origin of Forms and Qualities according to Corpuscular Philosophy, paru en 1666.
  3. Leibniz. Opera, éd. Erdmann. Nouveaux Essais, l. IV, § 13.