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théorie et d’identification en identification, fait complètement disparaître le monde réel. Nous avons d’abord expliqué, c’est-à-dire nié le changement, identifiant l’antécédent et le conséquent, et la marche de monde s’est arrêtée. Il nous restait un espace rempli de corps. Nous avons constitué les corps avec de l’espace, ramené les corps à l’espace, et les corps se sont évanouis à leur tour. C’est le vide, « rien du tout » comme dit Maxwell, le néant. Car le temps et l’espace se sont dissous. Le temps, dont le cours n’implique plus de changement, est indiscernable, inexistant ; et l’espace, vide de corps, n’étant plus marqué par rien, disparaît aussi.

Il ne pouvait en être autrement. Nous avons cherche le pourquoi du monde réel, et nous l’avons fait à l’aide du principe d’identité. La source ultime de toute réalité ne peut donc être qu’éternellement identique à elle-même, aux parties indiscernables : c’est bien, cette fois, la sphère de Parménide. Mais, d’autre part, comment cette chose en soi, n’ayant aucune diversité, entrerait-elle en rapport avec ce monde divers ? « Il est trop clair, dit avec raison Renouvier, que la matière uniforme homogène et immobile n’est ni cause ni raison de quoi que ce soit au monde[1]. » N’étant cause de rien, n’agissant pas, elle est comme si elle n’était pas et par conséquent s’évanouit.

Nous pouvons, par une autre voie encore, rendre sensible la logique de ce résultat. Le raisonnement causal, de par son essence, tend à remonter à une cause ultime, puisque chaque cause découverte devient aussitôt, par ce fait même, une conséquence dont il faut rechercher la cause à son tour. Or, que peut être cette cause ultime ? Elle ne peut être, pour parler avec Spinoza (qui n’a d’ailleurs fait que reproduire une expression de saint Anselme) qu’une chose qui soit cause de soi, causa sui, c’est-à-dire « ce dont l’essence enveloppe l’existence[2] ». Donc, aboutir au néant, c’est simplement constater qu’il est impossible de trouver cette cause de soi.

Est-ce donc là l’ultime résultat de la science et ne nous reste-t-il, comme à l’hiérophante de Saïs, que le regret d’avoir d’une main téméraire arraché à la vérité ses voiles ? Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait d’abord, semble-t-il, que cette constatation fût réellement au bout de la science. Or, il n’en est rien. Le mécanisme n’est pas le fruit de la science, il est né

  1. Renouvier. Critique philosophique, vol. XI, 1, p. 188,
  2. Spinoza. Opera. La Haye, 1887. Éthique, I, 39.