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continuité absolue de la pensée maîtresse d’où elles sont issues se révélera mieux encore si nous suivons l’évolution que les concepts de temps et d’espace subissent par le fait des explications successives du devenir et de l’être. Nous avons commencé par considérer le temps et l’espace comme homogènes tous deux par rapport aux lois : nous avons posé en même temps l’identité des corps dans leur mouvement à travers l’espace. Ces trois conditions caractérisent la partie empirique de la science, la science des lois. Postulant ensuite l’identité des corps dans leur mouvement à travers le temps, nous sommes parvenus à la notion de cause et avons vu naître la partie rationnelle de la science, la science des hypothèses. Mais parvenus là, l’analogie entre le temps et l’espace que nous avons cru rétablir par cette opération se montre au contraire troublée une fois de plus. Les corps, identiques à travers le temps, sont aussi immobiles dans le temps, alors que, identiques à travers l’espace, ils pouvaient encore s’y mouvoir. Par suite du fait que le temps n’a qu’une seule dimension le long de laquelle tout se meut d’un mouvement uniforme dans la même direction, le postulat de l’identité des corps à travers le temps, qui constitue la causalité, vide pour ainsi dire du coup le temps de son contenu. Les instants successifs sont devenus identiques ; mais, dans l’espace, les parties se distinguent encore par les corps qui les remplissent. Cette fois l’identification est donc plus complète pour le temps que pour l’espace. Alors « l’explication » continue son œuvre et ramène définitivement l’espace à la condition du temps, en identifiant toutes ses parties.

C’est à cette dernière identification que les hypothèses mécaniques doivent l’unité de la matière qui les caractérise, cette unité n’étant d’ailleurs qu’un acheminement vers la réduction de la matière à l’espace. Les deux tendances en effet ont encore ce trait commun que, le but visé par notre entendement lui paraissant excessivement éloigné, il est tout prêt à se contenter de satisfactions partielles, quelque minimes et quelque imaginaires même qu’elles puissent être. Tout progrès, même purement apparent, dans l’une ou l’autre de ces directions nous apparaît toujours comme une « explication » ; et l’on voit fort bien comment Aristote a pu, à un moment donné, les confondre et désigner par le terme de cause ce qui n’avait manifestement aucun rapport avec l’identité dans le temps.

Obéissant aux deux tendances, nous avons, de théorie en