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y ériger, et que le nombre des faits ou des rapports qu’elles étaient susceptibles d’expliquer était extrêmement réduit ; il est surprenant qu’elles aient eu un succès considérable, et plus étonnant encore que leurs auteurs aient pu s’abuser sur leur valeur : ce fait seul nous ferait soupçonner au besoin qu’il doit y avoir là une secrète propension de l’esprit humain. Dans les tout derniers temps, le courant semble avoir encore gagné en force. Que l’éther doive, comme l’a dit Hertz, expliquer tout en dernière instance, même « l’essence de la vieille matière elle-même et de ses qualités les plus intimes de gravitation et d’inertie » et que cette explication soit ce le but ultime de la physique[1] » c’est ce qui a paru, aux savants du xixe siècle, le moins contestable des principes. Dans les théories électriques de la matière, autant qu’elles conservent la notion de l’éther, le nouvel atome, « l’électron », n’apparaît que comme un « point singulier dans l’éther[2] ».

Or, qu’est-ce au fond que l’éther ? Nous avons vu qu’au sujet de ses propriétés les suppositions les plus diverses, et bien souvent les plus contradictoires et les moins acceptables, ont été formulées par les physiciens. Mais il y a un trait qui domine toutes ces hypothèses : c’est que l’éther remplit l’espace ; c’est là sa fonction essentielle, celle en vue de laquelle il a été créé. Cette genèse a été fort clairement expliquée par M. H. Poincaré[3]. La lumière qui nous parvient d’étoiles lointaines met, nous le savons, un temps considérable pour arriver jusqu’à nous. Où est-elle pendant ce laps de temps ? Nous ne pouvons supposer qu’elle n’existe pas, car alors la lumière atteignant la terre ne serait plus la conséquence d’un fait immédiatement précédent, mais, directement et sans continuité, d’un fait séparé par un intervalle de temps, ce qui est inadmissible. Par conséquent, il faut bien qu’elle soit quelque part, et elle ne peut être que dans l’espace intermédiaire, espace qui, à d’autres égards, nous apparaît comme vide. Les propriétés que nous attribuons à l’éther sont donc en réalité celles du vide, ainsi que l’a dit Maxwell[4] et l’éther lui-même

  1. Hertz. Ueber die Beziehungen zwischen Licht und Elektricitaet, Gesammelte Werke. Leipzig, 1895, vol. Ier, p. 352.
  2. H. Poincaré, l. c., p. 298, 301. Larmor. Aether and Matter. Cambridge, 1900, p. 171.
  3. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 199.
  4. Maxwell. Scientific Papers, p. 323. « These are some of the already discovered properties of that which has often been called vacuum or nothing at all. »