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que sorte un nombre déterminé d’autres atomes. Tâchons de nous représenter, de réaliser cette nouvelle image : notre entendement ou, si l’on aime mieux, notre « imagination » résistera. Comment relier cette qualité à l’image de l’atome que nous avions formée, où la loger ? Cela nous paraît mystérieux, l’atomicité, ainsi que maintes fois l’ont fait valoir les adversaires de ce concept, apparaît comme inexplicable. « Toute véritable force de la nature, dit Schopenhauer, est essentiellement qualitas occulta[1] ».

Arrêtons-nous à ce dernier terme. Jusqu’ici nous n’avions parlé d’explication qu’à propos des rapports des phénomènes dans le temps. Or, manifestement, il ne s’agit pas ici de ce rapport : ces atomes, aussi bien que la qualité dont nous prétendons les douer, tout cela doit être éternel, immuable, indépendant du temps. Cela ne devient pas, cela est. Ce n’est donc plus une explication du devenir que nous avons demandée, mais une explication de l’être.

La question a été traitée par Aristote dans le VIIIe livre de sa Physique. Il s’agissait précisément, comme dans le cas qui vient de nous occuper, d’une qualité des atomes. Démocrite, pour expliquer leur agitation, affirmait, nous l’avons vu, qu’elle avait existé de tout temps. Aristote trouve cette explication insuffisante. « En général, dit-il, admettre que ce soit un principe et une cause suffisante d’un fait de dire que ce fait est toujours ou qu’il se produit toujours de telle ou telle manière, ce n’est pas du tout satisfaire la raison. » Et il ajoute : « C’est là cependant à quoi Démocrite réduit toutes les causes dans la nature, en prétendant que les choses sont actuellement de telle manière et qu’elles y étaient antérieurement. Mais quant à la cause de cet état éternel, il ne croit pas devoir la rechercher[2]. »

Aristote, on le voit, se sert du terme de « cause » bien qu’il s’agisse d’un « état éternel » ; il faut donc qu’il y ait là un rapport au moins très voisin de celui de la causalité proprement dite.

  1. Schopenhauer. Ueber die vierfache Wurzel, etc. Leipzig, 1877, p. 46.
  2. Aristote. Physique, l. VIII, chap. i, § 27. On peut rapprocher de ce passage sa définition de la science dans les Derniers analytiques, l. Ier, chap. II, § 7 : « Nous pensons savoir les choses d’une manière absolue et non point d’une manière sophistique, purement accidentelle, quand nous savons que la cause pour laquelle la chose existe, est bien la cause de cette chose, et que par suite la chose ne saurait être autrement que nous la savons. »