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avons vu que l’on ne parvient pas à la loger dans l’atome, à l’égard duquel elle apparaît comme une véritable qualité occulte. Donc en rangeant l’impénétrabilité parmi les qualités premières, on ne fait encore qu’obéir à la tendance qui nous pousse à considérer le phénomène mécanique comme primordial, à ramener les phénomènes au mécanisme.

Ainsi, la propriété d’être une cause de déplacement est bien, en vertu du principe de causalité, la plus importante d’entre celles que nous sommes forcés d’attribuer à la matière ; et il est clair de ce chef que, si nous devions définir la matière par une propriété unique, c’est bien celle-là que nous choisirions. Mais pourquoi aurions-nous recours à une propriété unique ? Le concept naturel de la matière, nous venons de le voir, est, au contraire, fort complexe ; et puisque, à l’égard de l’atome, l’impénétrabilité apparaît comme une qualité occulte, on pourrait tout aussi bien y loger toutes les autres causes de nos sensations, ce qui, d’autre part, nous l’avons vu, faciliterait grandement les explications. Par conséquent, le principe de l’identité dans le temps ne saurait être invoqué pour expliquer ce trait important des théories mécaniques qu’est l’unité de la matière. Devrons-nous donc avoir recours à des principes obscurs et généraux, tels qu’une tendance vers l’unité ou vers la simplicité ? Devrons-nous supposer avec Lotze que nos motifs sont d’ordre esthétique[1] ? Est-il réellement possible d’attribuer à une cause de ce genre une tendance qui, en dépit d’obstacles immenses qu’elle semble ignorer comme à plaisir, se manifeste avec une vigueur si singulière, tendance qu’un métaphysicien très avisé et très informé des choses de la science a tout récemment qualifiée « d’irrésistible[2] » ? Il semble qu’il doive y avoir là une cause plus profonde.

Partons de l’image de l’univers telle que nous la présente la théorie atomique courante : des masses corpusculaires ayant, en dehors de la faculté de se déplacer, le pouvoir de causer mutuellement leur déplacement, mais dépourvues de toute autre qualité. Essayons de leur en conférer une, soit pour fixer les idées, ce qu’on appelle en chimie l’atomicité ou valence, c’est-à-dire essayons de donner à un certain nombre d’entre ces atomes le pouvoir de s’attacher en quel-

  1. Lotze, l. c., p. 382.
  2. A. Balfour. Réflexions sur la théorie nouvelle de la matière. Revue scientifique, 1er juillet 1905, p. 11.