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de l’unité de la matière et ces tendances des chimistes et des physiciens l’étonnent.

Évidemment, une tendance aussi générale et aussi puissante doit avoir une cause profonde. Or, nous ne pouvons invoquer la causalité telle que nous l’avons définie, d’après Leibniz, c’est-à-dire l’identité entre la cause et l’effet, l’antécédent et le conséquent. Ce principe postule des conditions pour l’existence des choses dans le temps ; mais, à ce point de vue, à supposer que le soufre reste soufre et l’oxygène, oxygène, il est indifférent que le soufre soit, comme on l’a supposé, un simple polymère de l’oxygène[1] ou bien une matière radicalement distincte. Ou plutôt, au point de vue de la portée et de la facilité des déductions, il est préférable au contraire de partir d’un nombre d’éléments aussi grand que possible et ayant des propriétés très diverses. C’est là une observation très générale et qu’il impute de mettre bien en lumière.

La nature nous présente un nombre immense de phénomènes d’une diversité infinie. Nous devons tous les expliquer par le déplacement de quelque chose. Mais ce qui se déplace n’étant pas autrement défini, il y aurait évidemment avantage à choisir ces « éléments » aussi divers que possible ; car plus il y aura de diversité dans les éléments et plus il sera aisé d’en déduire celle des phénomènes composés. Pour faire application de ces généralités à nos éléments et composés chimiques, nous sommes fort loin, pour le moment, de savoir expliquer complètement les propriétés des composés par celles des éléments ; mais on conçoit que cela serait plus aisé, qu’il y aurait moins de chemin à faire pour aboutir à des matières qualitativement diverses, que si l’on devait résoudre tout en une matière unique : les propriétés des sulfites s’expliqueraient certes moins difficilement par celles du soufre, etc., que s’il fallait par exemple que tout fût ramené à l’hydrogène. En allant plus loin dans cet ordre d’idées, on aboutirait à peu près à une théorie comme celle des homéoméries d’Anaxagore qui supposait, on le sait, l’existence d’un nombre infini d’éléments ou de principes différant les uns des autres au point de vue qualitatif ; mais non pas aux atomes de Leucippe et de Démocrite, formés tous d’une seule et même matière.

Ainsi, loin de pouvoir déduire l’unité de la matière du principe causal, nous constatons que ce dernier nous pousse dans

  1. M. Berthelot. Les origines de l’alchimie. Paris, 1885, p. 297.