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ce qu’ils considéraient comme une limite provisoire[1]. Il est tout aussi significatif que Gibbs, dont les célèbres travaux théoriques semblent devoir orienter la science entière dans une direction nouvelle et fructueuse, n’ait pas hésité à fonder un des postulats fondamentaux de sa doctrine sur la possibilité de la transmutation[2] et que Friedel, après avoir déclaré que « la notion d’une matière élémentaire unique est plutôt une conception philosophique qu’autre chose » ait réclamé, trois pages plus loin, « une explication mécanique du fait général auquel on a donné le nom d’atomicité ou valence des atomes[3] ». L’atomicité ou valence est une expression de l’affinité, la propriété la plus intime des atomes chimiques, celle par laquelle, en définitive, les autres doivent pouvoir s’expliquer. Si elle exige à son tour une explication, c’est qu’on la reconnaît comme qualité occulte, c’est-à-dire qu’on suppose que tout doit se ramener à une matière unique dépourvue de qualités.

Nous pouvons aussi citer les témoignages de philosophes, tels que Spencer, Lotze, M. Wundt et Hannequin. Pour Herbert Spencer, les propriétés des différents éléments chimiques « résultent de différences d’arrangement provenant de la composition et recomposition d’unités ultimes homogènes[4]. » M. Wundt, après avoir constaté que « la chimie rapporte encore les diverses qualités de la matière à une différence qualitative originelle entre les atomes » ajoute aussitôt : « Mais la tendance générale de l’atomisme en physique est de dériver toutes les propriétés qualitatives de la matière des formes du mouvement atomique. Ainsi les atomes eux-mêmes restent des éléments entièrement dépourvus de qualités[5]. » De même Hannequin déclare que l’unité de la matière est « le postulat secret de tout atomisme[6] ». Mais il est peut-être encore plus significatif que cette tendance soit constatée par Lotze[7], car ce métaphysicien est l’adversaire du concept

  1. M. Berthelot. Les origines de l’alchimie. Paris, 1883, p. 289.
  2. Cf. Le Chatelier. La loi des phases. Revue Générale des sciences, 10, 1899, p. 760.
  3. Ch. Friedel. Préface à J.-B. Stallo. La matière et la physique moderne, 3e éd. Paris, 1899, p. 9 et 12.
  4. H. Spencer. Contemporary Review, juin 1872.
  5. Wundt. Die Theorie der Materie. Deutsche Rundschau, décembre 1875, p. 387.
  6. Hannequin, l. c., p. 166.
  7. Lotze. System der Philosophie. Leipzig, 1879, vol. II, p. 376.