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comme telle. Les chimistes le supposent assez généralement pour ce qu’on appelle eau de cristallisation. Mais pour l’eau des acides les hypothèses ont varié. On supposait autrefois que l’acide sulfurique, par exemple, était un composé de ce que nous appelons actuellement l’anhydride (et ce qui était considéré à ce moment comme le véritable acide) et d’eau ; celle-ci se conservait donc comme telle dans la molécule composée. Dans nos formules actuelles, au contraire, la molécule d’eau qui s’ajoute à l’anhydride se scinde, l’hydroxyle et l’hydrogène allant se fixer dans deux endroits différents de la chaîne atomique.

Il suffit cependant, ayant posé ainsi les conditions du problème, d’examiner les théories de la chimie pour voir que la doctrine généralement acceptée est l’opposé de celle de Sainte-Claire Deville. Reportons-nous au passage de Lavoisier que nous avons cité au chapitre précédent et pesons bien ces termes : « On est obligé de supposer dans toutes les expériences une véritable égalité ou équation entre les principes du corps qu’on examine et ceux qu’on en retire par l’analyse. »

Si nous avions un doute sur la portée de ce passage, nous n’aurions qu’à nous référer à ce qui précède ; dans une phrase que nous avions omise dans notre citation, Lavoisier déclare qu’avant ou après l’opération « la qualité et la quantité des principes est la même et qu’il n’y a que des changements, des modifications ». Ainsi donc, ce que Lavoisier affirme, c’est que les « principes » (il s’agit en l’espèce de corps qu’il savait composés, mais cela s’applique évidemment a fortiori aux éléments) préexistent comme tels à leur isolement.

Il est facile, d’ailleurs, de se convaincre que la chimie, sur ce point, est restée fidèle à la pensée du plus illustre de ses maîtres.

On affirme que les corps n’ont pas seulement été composés, mais qu’ils sont réellement composés de leurs éléments, que ces derniers y sont véritablement contenus, qu’ils persistent dans leurs combinaisons. On recherche même la manière dont leurs parties ultimes ont pu se grouper. Toutes les théories émises depuis Berzélius jusqu’à M. Van’t Hoff sur ces formules qu’on appelle maintenant de « constitution », formules en lesquelles se résument pour ainsi dire les progrès de la chimie, perdraient leur sens si nous pouvions douter un seul instant de cette persistance.