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de vue du moins la « révolution chimique » dont ce dernier a été l’auteur trouvait les voies préparées. Sans doute, on n’avait pas entièrement perdu le souvenir des éléments d’Aristote ni de ceux de Becher et, dans les manuels surtout, on en parlait encore quelquefois. Lavoisier, dans la préface au Traité élémentaire de chimie, montre, avec sa clarté habituelle, ce que ces anciennes conceptions ont d’inconsistant. « Cette tendance que nous avons à vouloir que tous les corps de la nature ne soient composés que de trois ou quatre éléments tient à un préjugé qui nous vient originairement des philosophes grecs. » L’élément chimique est au contraire une notion résultant de l’expérience. « Le dernier terme auquel parvient l’analyse, toutes les substances que nous n’avons encore pu décomposer par aucun moyen sont pour nous des éléments[1]. » Mais on sent, par la brièveté de ses déclarations, qu’il n’a pas de controverse à craindre en cette matière. C’est qu’au fond ses contemporains les plus autorisés étaient là-dessus d’accord avec lui[2]. Kopp constate que Lavoisier ne s’est jamais donné la peine de proclamer l’inanité des transmutations.

Depuis le triomphe définitif de la théorie de Lavoisier, rien, semble-t-il, n’est mieux garanti au point de vue empirique que l’existence des « éléments », c’est-à-dire de corps différant les uns des autres au point de vue de leurs qualités fondamentales, corps qui nous apparaissent comme indestructibles, capables de s’unir entre eux pour former des combinaisons, mais incapables de se transformer les uns dans les autres. Helmholtz désigne le principe chimique dont nous parlons comme celui de « l’inaltérabilité des substances » (Unveraenderlichkeit der Stoffe) ou de la « constance des éléments » et le considère comme fondamentale[3]. M. Armand Gautier constate de même qu’il est une des bases de notre chimie et lui attribue, très justement, la première place dans l’énumération de ces notions fondamentales[4]. M. Étard

  1. Lavoisier. Œuvres. Paris, 1864, vol. I, p. 5-7.
  2. M. Duhem fait cependant ressortir à juste titre que la création d’une nomenclature nouvelle contribua puissamment à fixer la notion du corps chimiquement simple. (Le Mixte, P. 47.)
  3. Helmholtz. Populaere wissenschaftliche Vortraege, p. 192.
  4. A. Gautier. Les problèmes de la chimie moderne. Revue générale des sciences, 1890, p. 225.