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moment qu’elle se confond avec l’effet, qu’il y a identité entre l’antécédent et le conséquent, que rien ne se passe, il n’y a plus de cause. Le principe de causalité, selon son vrai sens, ainsi que l’a justement remarqué Renouvier[1], est l’élimination de la cause.

C’est un résultat paradoxal en apparence. Nous pouvons cependant, d’un coup d’œil, embrasser le chemin parcouru et vérifier que nous ne nous sommes pas égarés en route, que le point d’arrivée était bien commandé par le point de départ. Nous avons cherché les causes des phénomènes et nous les avons cherchées à l’aide d’un principe qui n’est, nous le savons, que le principe d’identité appliqué à l’existence des objets dans le temps. La source ultime de toutes les causes ne peut donc être qu’identique à elle-même. C’est l’univers immuable dans l’espace et le temps, la sphère de Parménide, impérissable et sans changement.

En contemplant par la pensée cette sublime image du grand Éléate, nous ne pouvons pas ne pas observer son étrange ressemblance avec une conception toute moderne, celle de la nébuleuse qui, d’après Laplace, serait l’origine de notre système solaire. Convient-il de voir pour cela en Parménide un précurseur de l’astronome français ? En aucune façon. La sphère était une conception purement métaphysique, un symbole éternel de l’univers ; la nébuleuse est une hypothèse scientifique, appuyée sur des faits particuliers et prétendant indiquer l’état physique d’une partie limitée de l’univers à un moment déterminé. Et pourtant il y a là plus qu’une simple coïncidence. Sphère et nébuleuse sont en effet toutes deux des conceptions causales. Seulement la sphère, étant l’univers entier, ne peut changer par rapport à l’espace, elle doit donc rester immobile ; alors que la nébuleuse, n’étant que le système solaire, peut tourner dans l’espace absolu. C’est ce mouvement qui, jouant le rôle du principe diversifiant que les Éléates désignaient sous le nom de guerre ou de discorde, lui permet de se différencier ensuite pour procréer, par la seule évolution, par le développement de ce qui devait y être contenu en puissance, toute la série des mondes. Comme le dit M. Wilbois[2] la théorie de la nébuleuse aboutit à affirmer

  1. Renouvier. La méthode phénoméniste. Année philosophique, 1890, p. 26. — Cf. ib., p. 89.
  2. Wilbois. L’esprit positif. Revue de métaphysique, vol. X, 1902, p. 334.