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Cela dit, comment se fait-il qu’on ait cru pouvoir se servir du signe en question ? Évidemment une flèche → eût exprimé beaucoup mieux le sens de la relation. Et comment expliquer que ce terme d’équation, si impropre en l’occasion, ne nous choque point ? C’est qu’au delà, au-dessous du phénomène produit, du phénomène apparent, nous croyons voir autre chose ; nous croyons, nous voulons croire du moins, que l’ensemble des antécédents, si nous pouvions les embrasser d’un coup d’œil et reconnaître leur nature intime, serait reconnu égal, identique à l’ensemble des conséquents.

On peut d’ailleurs citer, à l’appui de cette manière de voir, l’autorité de l’homme de qui dérive tout le mode de penser de la chimie moderne. Lavoisier, dans son Traité élémentaire de chimie, a écrit ce qu’on peut appeler la première véritable équation chimique et, avec sa clarté habituelle, a expliqué le sens qu’il attribuait à cette formule.

Après avoir affirmé que « rien ne se crée, ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature » et que « l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération », il ajoute : « C’est sur ce principe qu’est fondé tout l’art de faire des expériences en chimie : on est obligé de supposer dans toutes une véritable égalité ou équation entre les principes du corps qu’on examine et ceux qu’on en retire par l’analyse. Ainsi puisque du moût de raisin donne du gaz acide carbonique et de l’alcool, je puis dire que le moût de raisinacide carboniquealcool[1]. »

Ainsi donc l’équation est bien, pour Lavoisier, l’expression de l’égalité complète, de l’identité entre l’antécédent et le conséquent dans une réaction chimique.

« Nous ne connaissons en toute lumière, dit Poinsot, qu’une seule loi, c’est celle de la constance et de l’uniformité. C’est à cette idée simple que nous cherchons à réduire toutes les autres, et c’est uniquement en cette réduction que consiste pour nous la science[2]. » Nulle parole plus vraie ni plus péné-

  1. Lavoisier. Œuvres, vol. I, p. 101.
  2. L. Poinsot. Éléments de statique suivis de quatre mémoires, etc., 10e éd. Paris, 1861, p. 239. La suite affaiblit la signification de ce passage ; Poinsot y limite la recherche à celle de la constance du rapport. Il nous semble cependant ressortir de la teneur des phrases que nous avons citées dans le texte qu’il avait tout d’abord entrevu la véritable portée de son énoncé ; c’est en cherchant à la préciser que sa pensée aura dévié, probablement