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cer qu’un métal liquide et un gaz incolore sont, ensemble, la même chose qu’une poudre rouge ? C’est bien l’avis de M. Ostwald. Il ne s’agit pas, nous dit-il, d’une véritable égalité, mais seulement de corps qui, dans certaines opérations, peuvent se substituer mutuellement les uns aux autres sans que le résultat en soit modifié[1]. On serait peut-être assez embarrassé d’indiquer l’opération où le mercure et l’oxygène d’une part et l’oxyde de mercure de l’autre, pourraient se remplacer dans ces conditions, à moins qu’on ne veuille recourir préalablement à l’opération qui est précisément l’objet de l’équation. Mais est-il exact qu’en posant cette équation on pensât à la substitution en question ? Reportons-nous à l’époque où ce mode d’expression est né et s’est développé, et faisons complètement abstraction des théories plus récentes sur les équilibres chimiques et de ce que pouvaient contenir en germe les conceptions de Berthollet qui, on le sait, sont restées à ce point de vue à peu près sans action sur la marche de la science. Écrivons

Ba Cl2 + Na2 SO4 = Ba SO4 + 2 Na Cl.

Il est incontestable qu’une réaction de ce genre, réaction qui paraît s’accomplir rapidement et complètement dès que les corps dont les symboles sont inscrits à gauche du signe d’égalité se trouvent en présence dans des conditions convenables, représentait pour ainsi dire la réaction type ; il n’était nullement question que le sulfate de baryum et le chlorure de sodium pussent donner à leur tour du sulfate de sodium et du chlorure de baryum : cette supposition aurait au contraire semblé paradoxale à tout chimiste. Partout et toujours il était sous-entendu que le côté gauche indiquait le point de départ et le côté droit le point d’arrivée. L’équation exprime donc en réalité la marche dynamique d’un phénomène et non pas, contrairement à l’apparence, une relation d’équivalence entre deux états statiques. Cela est si vrai que, dans ses études sur les états d’équilibre, M. Van’t Hoff a remplacé le signe = par celui de ⇆ ; afin de bien indiquer que la réaction pouvait s’opérer dans les deux sens, le signe d’égalité dans les équations chimiques ayant acquis irrémédiablement le sens d’une action dans une direction déterminée, de gauche à droite.

  1. W. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie, 2e éd. Leipzig 1902, p. 114, 225-226.