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ginées pour expliquer l’action des corps radio-actifs fournissent un excellent exemple, étant donné surtout qu’il s’agit de la constance de l’énergie, conception dont la base expérimentale, nous l’avons vu, est bien peu solide.

Mais l’action du postulat ne se borne pas au mécanisme et aux principes de conservation ; il est aisé de s’apercevoir que son intervention dans la science est non seulement très puissante, mais encore incessante, qu’elle se manifeste partout, que la science en est pour ainsi dire imprégnée. C’est ce que nous verrons clairement en examinant la plus rationnelle des sciences physiques, la « mécanique rationnelle ». Elle mérite bien son nom, c’est la science la plus adéquate à notre raison et, nous allons le voir, la plus éloignée de la réalité.

L’identité parfaite entre la cause et l’effet, telle que la postule la tendance causale, impliquerait, de toute évidence, la possibilité de renverser le phénomène, c’est-à-dire de parvenir à l’antécédent en partant du conséquent. Cette « réversibilité », comme on dit en physique, n’implique point l’identité : je puis échanger une pièce en or de dix francs contre deux écus ou vice versa, d’où il suit que les choses ont même valeur, sont équivalentes, mais non pas qu’elles sont identiques. Par contre, l’identité implique certainement l’équivalence, c’est-à-dire la réversibilité.

C’est ce que nul n’a mieux compris ni plus nettement formulé que Leibniz. Rappelons ici le plus topique des passages que nous avons cités plus haut, sur les rapports entre les causes et les effets : « L’effet intégral peut reproduire la cause entière ou son semblable. »

En est-il réellement ainsi ? Nous n’avons qu’à consulter notre conscience intime pour répondre à cette question. Nous constaterons que nous avons le sentiment absolu que la nature suit dans le temps un cours immuable. Nous savons qu’aujourd’hui n’est pas pareil à hier, qu’entre les deux quelque chose d’irréparable s’est accompli : fugit irreparabile tempus. Nous nous sentons vieillir. Nous ne pouvons pas plus remonter le cours du temps que nous ne pouvons le ralentir ou l’accélérer. Un romancier de talent a récemment essayé de rendre pour ainsi dire tangible la supposition contraire et ses récits sont instructifs, à cause précisément de l’effet d’étrangeté qui s’en dégage. Encore M. Wells, en munissant son héros d’une machine qui lui permet de se déplacer dans le temps comme nous nous déplaçons dans l’espace, prend-il la