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et l’équation devra s’écrire T + U + Q = constante. Pour que l’équation soit claire, il faut que les trois termes soient absolument distincts, c’est-à-dire que T devra dépendre uniquement du carré des vitesses, alors que U ne dépendra que des positions et sera indépendant de ces vitesses et de l’état des corps, et qu’enfin Q sera indépendant des vitesses et des positions des corps et dépendra exclusivement de leur état interne. Mais ce sont là des suppositions que l’expérience ne confirme pas. L’énergie électrostatique due à l’action mutuelle des corps électrisés ne dépend pas seulement de leur charge, c’est-à-dire de leur état, elle dépend aussi de leur position et de leurs vitesses. Dans ces conditions, nous ne pouvons plus faire le triage des termes T, U et Q, c’est-à-dire séparer les trois formes de l’énergie. Or, si T + U + Q reste constant, il en sera de même d’une fonction quelconque φ (T + U + Q). Si les termes T, U et Q étaient entièrement distincts les uns des autres, il y aurait, parmi toutes ces fonctions, une seule ayant une forme particulière et c’est celle-là que nous appellerions énergie. Mais si les termes dépendent des conditions que nous venons d’indiquer, cette forme particulière n’existe point. Dès lors, dit M. Poincaré à qui nous avons emprunté à peu près textuellement le développement qui précède, « nous n’avons plus rien qui puisse nous guider dans notre choix. Il ne nous reste plus qu’un énoncé pour le principe de la conservation de l’énergie : il y a quelque chose qui demeure constant[1] ».

C’est évidemment la formule la plus générale, la formule typique du principe de conservation ; elle montre clairement qu’il s’agit d’une tendance antérieure à l’expérience : ce quelque chose, nous ne le connaissons pas, nous ne pouvons pas en indiquer d’avance la nature, mais nous espérons qu’il demeurera constant dans le temps, nous l’exigeons. Le fait qu’un esprit aussi éminent que M. Poincaré, sans idée théorique préconçue et par simple désir de préciser la teneur du principe, soit arrivé à une formule de ce genre, fortifie, semble-t-il, singulièrement les conclusions auxquelles nous a amené notre analyse.


  1. H. Poincaré, l. c., p. IX. — id. La science et l’hypothèse, p. 152-153, 158, 195.