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geraient, en tombant l’un sur l’autre, une quantité d’énergie calorique que nous pouvons calculer ; mais si ensuite il se produisait des réactions chimiques entre les composants de ces masses, cette chaleur s’accroîtrait d’un chiffre inconnu. Même en restant dans le domaine purement mécanique, nous ne parvenons point à rattacher l’énergie, comme propriété, aux corps : cette masse que je tiens dans ma main peut tomber sur le sol de ma chambre, dans la rue ou dans un puits que je peux m’imaginer aussi profond que je veux ; je puis aussi me figurer qu’elle tombera sur le soleil qui, incontestablement, l’attire, et la somme d’énergie que dégagera chacun de ces phénomènes sera très différente. Il est impossible de jauger d’avance, en ne considérant qu’un corps et non pas un système, quelle est la somme d’énergie qu’il est susceptible de dégager ; celle-ci est proprement infinie, même à l’intérieur de chaque corps, car nous n’avons qu’à supposer les corps composés de centres de forces pour qu’en faisant coïncider deux de ces centres, nous obtenions un travail infini. Lord Kelvin a introduit le terme d’énergie intérieure totale (total internal energy) et bien des physiciens s’en sont servis à sa suite. Mais il faut se rappeler que cette grandeur est définie par rapport à un état considéré comme normal (standard state), elle est donc susceptible de prendre une valeur négative[1]. Hertz fait remarquer à juste titre que cette supposition serait absurde pour une véritable substance, celle-ci, bien entendu, ne pouvant être conçue que comme une grandeur positive, et que, dans ces conditions, l’énergie potentielle résiste à toute définition lui attribuant les propriétés d’une substance[2]. Pour notre imagination la matière est quelque chose de réel et l’énergie n’est qu’une intégrale.

Il y a d’autres difficultés, tout aussi graves. Nous avons supposé jusqu’ici que l’énergie se compose de deux quantités, à savoir l’énergie du mouvement ou cinétique, T, et l’énergie de position ou potentielle, U. Nous avons alors T + U = constante. Mais cette décomposition ne s’applique en réalité qu’aux phénomènes purement mécaniques. Si au contraire nous devons tenir compte, en même temps, de l’énergie thermique, chimique ou électrique, il nous faut introduire un troisième terme, Q, pour représenter cette énergie interne,

  1. Cf. à ce sujet Helm, l. c., p. 35.
  2. Hertz. Gesammelte Werke. Leipzig, 1895, vol. I, p. 11-27. M. Helm, l. c., p. 16, exprime une opinion analogue.