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vaincre, qui est au fond des discussions dont nous venons de parler. Enfin, il est clair que la découverte de Mayer et de Joule ne faisait que substituer un concept de constance à d’autres, déjà préexistants, qu’elle détruisait par là même. Leibniz supposait indestructible l’énergie mécanique et, d’autre part, Deluc, Black et Wilke admettaient l’indestructibilité de la chaleur-matière. Ce que nous appelons le principe de la conservation de l’énergie a consisté à démontrer au contraire qu’aussi bien la chaleur que l’énergie mécanique, prises isolément, peuvent naître et périr, mais qu’alors la disparition de l’énergie mécanique est accompagnée de l’apparition d’une certaine quantité d’énergie calorique et vice versa.

On arrive à des conclusions analogues en examinant de près le concept de l’énergie tel que nous le trouvons dans la science actuelle. Le concept de la masse n’est que l’expression du rapport suivant lequel les corps agissent les uns sur les autres. Cette action, en réalité, est strictement déterminée, c’est l’action mécanique : le rapport serait tout différent si nous prenions pour base l’action électrique ou calorique. D’ailleurs, par suite du principe d’inertie qui exprime que l’état du mouvement du corps est indifférent, pourvu que ce mouvement soit rectiligne et uniforme, nous avons la possibilité, pour déterminer le rapport en question, de partir d’un état initial qui nous apparaît comme identique : le repos relatif. Enfin, une expérience incessante nous fait connaître les rapports entre tous les corps qui nous entourent et un corps unique, toujours le même, la terre. C’est ce qui fait que la masse nous apparaît non plus comme un rapport entre deux corps, mais comme un coefficient s’attachant à chaque corps en particulier, comme une propriété du corps, après quoi la causalité se charge de la transformer en substance. Mais il n’en va pas de même de l’énergie ; elle reste un rapport et si l’on veut la concevoir comme une propriété, ce sera la propriété d’un système et non pas celle d’un corps. Sans doute on trouve quelquefois, surtout dans des livres de vulgarisation, des expressions qui feraient supposer le contraire ; on dit par exemple que tel corps constitue un « réservoir d’énergie » ; mais c’est que l’on sous-entend une foule de conditions. Ainsi une masse de houille est susceptible, en brûlant, de dégager un nombre de calories connu. Mais si notre atmosphère était composée de chlore gazeux, ce rapport serait tout autre. Deux corps célestes déga-