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Mais cela ne nous fait pas comprendre ce que c’est que la pesanteur, nous ne parvenons pas à y reconnaître une nécessité logique, et notre raison refuse de se prononcer dès qu’on nous parle de circonstances foncièrement différentes de celles que nous connaissons. Au fond, le fait qu’un petit poids puisse en soulever un grand est tout à fait contraire à notre sentiment immédiat, et nous avons tous été choqués d’apprendre que ce résultat pouvait être obtenu à l’aide d’un bras de levier approprié. C’est ce qui explique qu’il y ait tant de gens cherchant toujours le mouvement perpétuel, même par des moyens purement mécaniques[1].

Ainsi la conservation de l’énergie, tout comme l’inertie, comme la conservation de la matière, n’est ni empirique ni apriorique ; elle est plausible.

Cette vérité peut même être établie, sinon plus complètement, du moins plus directement pour l’énergie que pour la vitesse ou pour la masse.

D’abord, au point de vue historique, nous avons vu que la conservation est postulée avant même que le concept ne se précise. On veut que quelque chose se conserve, Descartes et ses contemporains l’affirment, tout en se trompant complètement sur la nature de ce qui se conserve. Il se peut que l’erreur soit d’origine expérimentale[2], mais il est certain que l’expérience de Mersenne qui fournissait le point de départ, à supposer même qu’elle fût exacte, n’autorisait pas, à beaucoup près, une généralisation aussi vaste. Il est tout aussi remarquable que, pendant toutes les discussions qui ont eu lieu au xviie et au xviiie siècle sur la question de la mesure de la force, mesure et conservation aient été absolument confondues. Si une force (nous disons une énergie) est susceptible d’exercer un certain effet, la force qui pourra exercer un effet identique devra être estimée égale à la première ; mais il ne s’ensuit point que la force doive égaler son effet. Or, c’est au contraire cette seconde formule, comme il est aisé de s’en con-

  1. M. Helm, bien qu’il ait aperçu clairement que l’affirmation de l’impossibilité du mouvement perpétuel n’est pas un énoncé purement empirique (Die Lehre von der Energie, Leipzig, 1887, p. 92), croit pouvoir néanmoins s’en servir comme base d’une démonstration inductive du principe de la conservation de l’énergie (ib., p. 41). À notre avis, les conceptions aprioristiques (aprioristische Vorstellungen) dont M. Helm admet l’intervention à propos du mouvement perpétuel se rapportent à la conservation de l’énergie ; le premier de ces principes s’appuie sur le second et non inversement.
  2. Cf. Rosenberger. Geschichte, vol. II, p. 95.