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vement perpétuel et les chercheurs, comme le dit très justement M. Duhem[1], n’étaient pas tous des fous. De même, on accepta très docilement les idées de Volta sur l’électricité de contact, d’où pourtant découlait la possibilité de trouver un système susceptible de fournir indéfiniment de l’énergie électrique sans s’user et sans être surveillé, possibilité que le grand physicien italien a expressément affirmée[2]. En 1833 encore un physicien notable, Muncke, a maintenu, tout à fait dans le sens de Huygens, que le mouvement perpétuel physique était possible, en citant à l’appui le système planétaire, la rotation de la terre, les rivières, le baromètre et l’aiguille aimantée[3]. Et si, à l’heure actuelle, la conviction contraire est devenue générale, c’est, on n’en saurait douter, parce que tout le monde croit à la conservation de l’énergie[4].

Il nous reste pourtant la démonstration de Stévin. M. Duhem[5] pense que Stévin a puisé sa foi chez Cardan, c’est-à-dire dans des considérations sur la puissance nécessaire pour maintenir une machine en mouvement. Cela se peut, mais ne ressort pas de sa déduction, qui est directe et, incontestablement, d’une grande force démonstrative, bien que des contemporains, entre autres Mersenne, aient émis des doutes à ce sujet[6].

Il y a certainement des mouvements que nous sentons d’instinct impossibles, et chaque fois que l’on pourra, dans une démonstration, simplifier le phénomène suffisamment pour le ramener, par exemple, au type de « la pierre qui remonte par son propre poids » notre conviction sera acquise. Mais cette clarté qui nous semble parfaite tant qu’il s’agit de phénomènes simples, s’atténue immédiatement dès que ceux-ci se compliquent. C’est qu’il n’y a pas là de vérité de raison. La loi de la pesanteur elle-même est purement empirique. Comme nous voyons continuellement les corps tendre vers la terre, nous concevons qu’il y a là une règle générale, une loi.

  1. Duhem. Les origines de la Statique, p. 279.
  2. Cf. M. Le Blanc. Les idées nouvelles sur la théorie des piles. Revue générale des sciences, 10, 1899, p. 725.
  3. Muncke. Perpetuum mobile, dans Gehler.Physikalisches Woerterbuch. Leipzig, 1833, vol. VII, p. 408.
  4. M. J. Perrin. Traité de chimie physique. Paris, 1903, p. 77, déduit l’impossibilité du mouvement perpétuel du principe de la conservation de l’énergie.
  5. Duhem, l. c., p. 279.
  6. Ib., p. 298.