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vation de l’énergie ; c’est là incontestablement le sentiment général, l’impossibilité du mouvement perpétuel s’appuie sur ce dernier principe, et non inversement. Ce sentiment est d’ailleurs conforme à la manière de voir des grands esprits dont nous avons cité les noms plus haut. Il ne saurait y avoir de doute pour Leibniz ; mais Huygens et Carnot, en affirmant l’impossibilité pour des actions purement mécaniques, songeaient sans doute au principe des forces vives ; peut-être Carnot pensait-il en outre à une déduction de la conservation de l’énergie par les forces centrales ; et très certainement l’impossibilité du mouvement perpétuel ne leur apparaissait pas comme un fait expérimental. La fameuse décision de l’Académie des sciences invoquée par Helmholtz ne saurait servir sa thèse, bien au contraire. Elle fut prise en 1775 ; l’Académie annonçait qu’à l’avenir elle n’examinerait plus « aucune solution des problèmes de la duplication du cube, de la trisection de l’angle ou de la quadrature du cercle, ni aucune machine annoncée comme un mouvement perpétuel ». Voici en quels termes l’Histoire de l’Académie rend compte des motifs de cette dernière décision : « La construction d’un mouvement perpétuel est absolument impossible : quand même le frottement, la résistance du milieu ne détruiroient point à la longue la résistance de la force motrice, cette force ne peut produire qu’un effet égal à sa cause : si donc on veut que l’effet d’une force finie dure toujours, il faut que cet effet soit infiniment petit dans un tems fini. En faisant abstraction du frottement et de la résistance, un corps à qui on a une fois imprimé un mouvement le conserveroit toujours ; mais c’est en n’agissant point sur d’autres corps, et le seul mouvement perpétuel possible dans cette hypothèse (qui d’ailleurs ne peut avoir lieu dans la nature) serait absolument inutile à l’objet que se proposent les constructeurs de mouvemens perpétuels[1]. » C’est encore, on le voit, la démonstration par la conservation de la force vive, fondée, comme chez Leibniz, sur l’égalité de l’effet et de la cause. Sans doute, dans l’idée de ses auteurs, cette résolution ne s’appliquent directement qu’aux mécanismes purs ; quelques-uns étaient probablement d’avis, comme Huygens, qu’en dehors de ces derniers, l’impossibilité n’était pas démontrée. En tout cas, c’est ainsi que cette résolution fut comprise du monde savant. On continua à chercher le mou-

  1. Histoire de l’Académie Royale des sciences, année 1775. Paris, 1777, p. 61-65.