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Descartes, on l’a vu, déduit son principe de la conservation du mouvement directement de « l’immutabilité de Dieu », c’est-à-dire de l’identité de l’univers dans le temps ; et c’est à propos de la conservation des forces vives que Leibniz donne précisément du principe de causalité la formule rigoureuse dont nous nous sommes servis dans notre premier chapitre. C’est qu’en effet on ne saurait trouver un exemple plus net et plus frappant de l’emploi de la notion d’identité dans le temps. Avec sa vigueur d’esprit et sa pénétration merveilleuses, Leibniz a vu clairement ce qu’il faisait et est allé droit au but. La cause et l’effet doivent être identiques, interchangeables. Or, cela n’est possible que si le produit de la masse par le carré de la vitesse reste constant. Donc, c’est bien cette expression qui se maintient à travers les phénomènes changeants et qui est la véritable mesure de la force.

J.-R. Mayer s’exprime ainsi, tout au début de son célèbre travail de 1842 : « Les forces sont des causes et par conséquent il y a lieu de leur appliquer pleinement le principe : causa aequat effectum[1]. » Il en déduit que les forces sont « des objets indestructibles » changeants (wandelbar), impondérables[2] » et il répète encore une fois : « Nous terminons nos thèses qui se déduisent avec nécessité du principe causa aequat effectum[3]. » Après quoi, à l’aide d’un calcul unique, il cherche à déterminer l’équivalent ; c’est là une preuve qu’il était sincère dans sa déduction, car ce calcul n’aurait aucun sens si Mayer n’était pas parvenu par une autre voie à la conviction que E devait être une vraie constante : on voit que cet argument s’applique aussi à Sadi Carnot qui paraît avoir également cherché à déterminer E à l’aide d’un calcul unique, probablement le même que celui de Mayer.

Colding raisonne comme Bernoulli : « Puisque les forces sont des êtres spirituels et immatériels, puisque ce sont des entités qui ne nous sont connues que par leur empire sur la nature, ces entités doivent être sans doute très supérieures à toute chose matérielle existante ; et comme il est évident que c’est par les forces seulement que s’exprime la sagesse que nous apercevons et que nous admirons dans la nature, ces puissances doivent être en relation avec la puissance spirituelle,

  1. J.-R. Mayer, l. c., p. 233.
  2. Ib., p. 234.
  3. Ib., p. 239.