Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ce domaine, les ondes hertziennes, les rayons de Rœntgen, et la plus retentissante d’entre elles, celle des corps radioactifs, datent d’hier. On peut donc se demander légitimement si dans nombre de transformations il ne naît pas des formes d’énergie restées insoupçonnées jusqu’à ce jour ; il est certain qu’en supposant même la constance de E, les résultats expérimentaux obtenus jusqu’ici et qui, nous l’avons vu, varient entre des limites relativement étendues, ne permettent pas d’affirmer que même les transformations que nous croyons fort bien connaître ne donneront pas matière à des découvertes de cette nature dans l’avenir.

Ainsi, tout comme pour le principe de la conservation de la matière, mais à un degré bien supérieur, nous constatons que la certitude dont nous paraît revêtu le principe de la conservation de l’énergie dépasse de beaucoup ce que sembleraient comporter les données expérimentales. Cette « position privilégiée » du principe a frappé très justement M. H. Poincaré[1]. Un autre maître de la physique contemporaine, M. Lippmann, en résumant les recherches sur l’équivalent mécanique de la chaleur, s’exprime en ces termes : « Les écarts entre les diverses valeurs obtenues pour E sont toujours assez petits pour qu’on puisse les mettre sur le compte d’erreurs d’expériences… Une conséquence importante n’en découle pas moins de l’ensemble des déterminations qui ont été faites de E, c’est son invariabilité : il peut rester dans l’esprit quelque incertitude sur la véritable valeur de ce nombre, mais aucun doute n’est possible sur l’exactitude absolue du principe d’équivalence[2]. » Il est évident que si les expériences ne peuvent nous fixer sur la véritable valeur du nombre, elles peuvent moins encore nous démontrer qu’il est réellement invariable. Dès lors la conviction de l’exactitude absolue du principe doit provenir d’une autre source : nous avons vu que son historique concourt à cette démonstration.

De même que pour la conservation de la matière, l’aprioricité de la conservation de l’énergie a été proclamée par les

  1. H. Poincaré, l. c., p. VII. On peut ranger dans la même catégorie la déclaration suivante de M. Helm. Die Lehre von der Energie, historisch-kritisch entwickelt. Leipzig, 1887, p. 2 : « Mancher hat daher wohl dos Gefuehl, als sei die Unterlage eine unsichere, auf der das moderne Energiegesetz ruht und als habe seine Entwicklung leichtfertige Schritte gemacht. » L’aveu est d’autant plus significatif qu’il émane d’un homme dont la doctrine exalte la portée du principe.
  2. Lippmann, l. c., p. 13.