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expérimentale. Mais les résultats de Joule[1] s’y prêtent encore infiniment moins que ceux de Lavoisier pour la conservation de la matière. Les chiffres du physicien anglais varient dans des limites extraordinairement larges ; la moyenne à laquelle il arrive est de 838 livres-pieds (pour la quantité de chaleur capable d’accroître la température d’une livre d’eau d’un degré de l’échelle de Fahrenheit) ; mais les diverses expériences d’où est tirée cette moyenne fournissent des résultats variant de 742 à 1 040 livres-pieds, c’est-à-dire de plus du tiers de la valeur la plus réduite, et il note même une expérience qui donne 587 livres-pieds, sans que d’ailleurs l’auteur y relève une source d’erreurs expérimentales particulièrement graves. Ce n’est que dans le post-scriptum de ce travail que Joule relate une série d’expériences donnant comme résultat 770 livres-pieds par livre-degré (Fahrenheit), ce qui se rapproche sensiblement de nos estimations actuelles. Si l’on considère d’ailleurs qu’à ce moment Sadi Carnot[2] et J.-R. Mayer[3] avaient déjà, chacun de leur côté, calculé l’équivalent de la chaleur, et étaient parvenus aux chiffres de 370 et de 365 kilogrammètres (ce qui est inférieur de plus d’un huitième à la valeur de Joule) il devient vraiment difficile de supposer qu’un savant consciencieux, en se fondant uniquement sur ces données expérimentales, eût pu arriver à la conclusion que l’équivalent devait constituer, dans toutes les conditions, une donnée invariable.

Depuis Mayer et Joule, des travaux très minutieux, en nombre considérable, ont été exécutés sur cette importante question. Les résultats n’ont pas toujours été tout à fait concordants, comme le constate M. Lippmann[4]. Sans doute, les physiciens arrivent à calculer une valeur moyenne et les écarts sont assez réduits pour qu’on puisse les mettre sur le compte d’erreurs d’expériences. Il n’en reste pas moins

  1. Joule, l. c., p. 437-439.
  2. Cf. H. Poincaré, l. c., p. 51.
  3. J.-R. Mayer, l. c., p. 240.
  4. Lippmann. Cours de thermodynamique. Paris, 1889, p. 11 ss. On trouvera dans le rapport présenté au Congrès de physique de 1900 par M. Ames sur L’équivalent mécanique de la chaleur (vol. Ier) une discussion approfondie des travaux les plus remarquables sur cette matière. Sur 21 physiciens qui s’en sont occupés plus récemment, M. Ames écarte les résultats de 15 comme entachés d’erreurs trop grosses, et calcule ses moyennes d’après les résultats des six restants. Les limites maximum et minimum qu’il détermine présentent encore un écart de plus d’un 1/2 p. 100.