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de ces grands savants. Mais il semble bien que Huygens l’avait énoncée avant lui. Seulement il la formulait en quelque sorte comme une pure proposition de géométrie, et sans en reconnaître la grande portée. C’est Leibniz qui l’a proclamée comme principe fondamental de la mécanique. C’est ainsi du moins que Jean Bernoulli, qui était presque contemporain et fort bien placé pour juger les choses, les a représentées[1].

Il est à remarquer que Descartes aussi bien que Leibniz jugeaient que les principes formulés par eux embrassaient la totalité des phénomènes de l’univers. « Dieu, dit Descartes, ne change jamais sa façon d’agir et conserve le monde avec la mesme action qu’il l’a creé… Et pour ce qu’il les maintient avec la mesme action et les mesmes loix qu’il leur a fait observer en leur création, il faut qu’il conserve maintenant en elles toutes le mouvement qu’il y a mis deslors, avec la propriété qu’il a donnée à ce mouvement, de ne demeurer pas tousjours attaché aux mesmes parties de la matière et de passer des unes aux autres, selon leurs diverses rencontres[2]. » Leibniz s’est exprimé avec beaucoup de clarté dans le même sens. Ajoutons le passage suivant à ceux que nous avons cités plus haut à propos du principe de causalité (p. 16). « J’avais soutenu que les forces actives se conservent en ce monde. On m’objecte que deux corps mous, ou non élastiques, concourant entre eux, perdent de leur force. Je réponds que non. Il est vrai que les Touts la perdent par rapport à leur mouvement total, mais les parties la reçoivent, étant agitées intérieurement par la force du concours. Ainsi ce défaut n’arrive qu’en apparence. Les forces ne sont détruites, mais dissipées parmi les parties menues. Ce n’est pas les perdre, mais c’est faire comme ceux qui changent la grosse monnaie en petite[3]. » Jean Bernoulli développa les mêmes idées. Ayant formulé la loi de la « conservation de la quantité des forces vives », il ajoute : « Ce serait obscurcir cette loi que d’entreprendre de la démontrer. En effet, tout le monde regarde comme un axiome incontestable que toute cause efficiente ne saurait périr, ni en tout, ni en partie, qu’elle ne produise un effet égal à sa perte. L’idée

  1. J. Bernoulli. Discours sur les lois de la communication des mouvements, Œuvres. Lausanne, 1742, vol. III, p. 58. — Leibniz a parfois l’air d’affirmer qu’il est l’auteur unique de la découverte et que Huygens l’a connue par lui. Cf. Lettre à L’Hôpital, Mathematische Schriften, vol. I, p. 320.
  2. Descartes. Principes, IIe partie, chap. xlii.
  3. Leibniz. Opera, éd. Erdmann, p. 775.