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CHAPITRE V

LA CONSERVATION DE L’ÉNERGIE

La formule la plus générale de ce principe peut s’énoncer en ces termes : en toute modification d’un système isolé, l’énergie totale de ce système garde une valeur invariable[1]. Si l’on fait abstraction de la condition d’isolement, dont nous verrons tout à l’heure la portée, cette formule ressemble à celle de la conservation de la matière. Elle offre sur celle-ci l’avantage d’être plus précise : en effet, la matière est un concept très vaste, créé par le sens commun, alors que le concept d’énergie a été créé ad hoc par la science et présente par conséquent toute la précision voulue.

On peut définir l’énergie comme la capacité de produire un effet ou d’accomplir une œuvre, pour nous servir des termes de M. Duhem qui nous avons emprunté la formule du principe. « La force absolue » (on sait que ce terme a longtemps désigné ce que nous appelons énergie), dit Leibniz dans son Essai de dynamique, « doit être estimée d’après l’effet violent qu’elle peut produire[2] ». Un projectile qui se meut avec une certaine vitesse peut, s’il heurte un obstacle, produire un effet déterminé : nous dirons qu’il possède une certaine énergie. Mais ce même boulet placé à une certaine hauteur au-dessus du sol pourra, en tombant, produire un effet analogue. Nous avons donc le droit, au point de vue de l’effet accompli, d’assimiler ces deux concepts si différents : le mouvement et la position, et de former le concept d’énergie de position, comme nous venons de former celui d’énergie de mouvement ou cinétique. L’énergie de position est qualifiée plus communément de potentielle : nous aurons l’occasion de revenir sur

  1. Duhem. L’évolution de la mécanique. Paris, 1903, p. 227.
  2. Leibniz. Mathematische Schriften, éd. Gerhardt, vol. VI, p. 218.