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poids que les anciens atomistes étaient parvenus à concevoir la conservation du poids de la matière ; et inversement, nous l’avons vu, la dissociation entre les deux concepts, opérée par Descartes, a certainement contribué dans une grande mesure à empêcher les contemporains de Jean Rey d’adhérer à sa doctrine. Actuellement la masse et le poids sont de nouveau associés ; mais cette liaison n’a rien de logique, et toute tentative pour déduire a priori le principe de la conservation du poids serait certainement stérile. L’illusion contraire ne peut avoir sa source que dans la tendance causale ; et c’est cette même tendance qui, chez les atomistes anciens, chez Jean Rey, probablement chez Lavoisier lui-même, et sûrement chez ses contemporains, a contribué à l’éclosion du principe, a permis de l’énoncer sans preuves comme une vérité évidente en soi, et a assuré sa domination.

Nous voulons la masse constante, comme toute chose ; mais nous le voulons plus fortement parce qu’elle nous apparaît comme l’essence de la matière. C’est ce qui explique que dans la théorie électrique de la matière, où le concept de masse n’occupe plus la même position dominante, on ait pu faire abstraction de sa conservation. En effet, d’après M. Lorentz, les masses mécaniques ne seraient pas constantes, mais varieraient d’après les mêmes lois que les masses électro-dynamiques et ces variations deviendraient sensibles pour des corps animés de vitesses comparables à celle de la lumière[1]. D’après M. Gustave Le Bon, ce que nous appelons matière se composerait d’une sorte de matière primitive et pourrait, par dissociation, retourner dans cet état[2]. Dans le cas d’une dissociation de ce genre, nous serions empêchés de constater non seulement la conservation du poids, mais encore celle de la masse, étant donné que la matière, dans cet état, ne suivrait probablement pas le mouvement de la matière non dissociée. Dans ces conditions, la matière non dissociée serait donc destructible, et quant à la conservation de la matière dissociée, n’ayant pas de substrat numérique, elle redeviendrait ce qu’était le principe de la conservation de la substance, c’est-à-dire un pur postulat. Le fait seul que des théories de ce genre aient pu surgir suffirait, semble-t-il, pour démontrer, à

  1. Cf. H. Poincaré. L’état actuel et l’avenir de la physique mathématique. Revue des idées, I, 1904, p. 811-812 ; id. La valeur de la science, p. 196.
  2. Le Bon. L’évolution de la matière. Paris, 1905, p. 70.