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exemple MM. Andrade[1] et Wulf[2]. Cependant la définition par le choc a quelque chose de malaisé : nous ne pouvons pas prédire exactement ce qui se passera après, car cela dépendra de l’élasticité des corps. Le mieux, sans doute, c’est de laisser dans l’indétermination la nature de l’action que les masses exercent les unes sur les autres et de se contenter de stipuler, comme l’a fait M. Mach, que si action il y a, si les corps se communiquent des vitesses ou des accélérations, cette communication se fait conformément à des coefficients immuables appelés masses[3] : l’indétermination ici n’est ni accidentelle, ni provisoire, elle est la manifestation de quelque chose de profond et d’essentiel.

Contrairement à ce que nous venons de constater pour la masse, le poids est une notion immédiate du sens commun ; mais c’est une notion purement empirique. Toute matière, c’est entendu, doit agir ; mais peut-on affirmer que toute matière doit graviter vers toute autre matière ? Il suffit de se rappeler, à cet égard, avec quel étonnement l’humanité a appris par les travaux de Newton qu’une force analogue ou identique à celle que nous appelons pesanteur sur la terre agit entre les corps célestes. Encore à l’heure actuelle, la gravitation nous apparaît comme une énigme à laquelle nous cherchons une explication. Or, en vue de cette explication, l’équation p = mg, loin de paraître nécessaire, prend au contraire toutes les apparences d’un paradoxe. La proportionnalité de la masse et du poids constitue, comme le dit M. de Freycinet, une « surprise[4] ». En réalité le poids devrait dépendre de la position des corps les uns à l’égard des autres[5]. Il est surprenant que dix cubes qui font équilibre à un poids donné étalés sur le plateau d’une balance, exercent le même effet quand nous les empilons les uns sur les autres et qu’ils se font mutuellement écran à l’égard de la terre ; et il est très

  1. Andrade. Les idées directrices de la mécanique. Revue philosophique, vol. XLVI, 1898, p. 402.
  2. Wulf. Zur Mach’schen Massendefinition. Wiedem. Annalen, Spl., 1899.
  3. C’est là aussi, semble-t-il, l’opinion de M. H. Poincaré (La science et l’hypothèse, p. 127). La définition de M. Duhem (L’évolution de la mécanique, p. 227) qui fait usage de la notion de travail, sans préciser comment ce dernier sera appliqué au corps, appartient à ce point de vue au même ordre d’idées.
  4. De Freycinet. Sur les principes de la mécanique rationnelle, p. 26.
  5. Cf. Maxwell. Whewell’s Writing and Correspondence, Scientific Papers, vol. II, p. 532.