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Observons cependant que ce concept de masse qui nous semble si important, notre esprit ne l’a pas saisi d’instinct et de prime abord, mais qu’il nous a, au contraire, paru entouré d’une certaine obscurité. Nous n’avons qu’à faire appel à nos souvenirs d’école pour nous convaincre qu’il en est ainsi ; dans les manuels de physique élémentaire on tient généralement compte de cet état de choses, en ayant soin de faire bien pénétrer dans l’esprit du lecteur la distinction entre la masse et le poids. Tout récemment, un observateur attentif et compétent a constaté que l’esprit de ses élèves était pour ainsi dire réfractaire à la notion de masse, au point qu’il a cru devoir prôner un système d’exposition où ce concept ne serait pas traité de fondamental[1]. C’est ce qui explique que ce concept n’ait été dégagé que très tardivement et que la confusion entre la masse et le poids, qui faisait le fond même de la théorie des anciens atomistes, ait pu se produire encore au xixe siècle, non seulement chez un métaphysicien comme Schopenhauer, mais encore chez un penseur aussi renseigné des choses de la science que Whewell. Une preuve curieuse de la facilité avec laquelle on confond ces deux notions nous est fournie par le fait que la législation dans les divers pays, entendant évidemment définir la masse (puisque la constante de gravitation ne présentait, à ce point de vue, aucun intérêt) a le plus souvent défini le poids[2].

Nous pouvons, semble-t-il, apercevoir la source profonde de cette difficulté. L’action par laquelle une matière en déplace une autre et qui nous apparaît comme fondamentale reste en même temps irrémédiablement obscure. Nous ne pouvons en réalité, nous l’avons vu, saisir le comment ni de l’action à distance, ni du choc. Dans les livres de mécanique on définit généralement la masse en faisant intervenir, d’une manière plus ou moins détournée, l’action à distance[3]. Il est certainement préférable de la définir par le choc, comme l’ont fait par

  1. Clementitch de Engelmayer. Sur l’origine sensorielle des notions mécaniques. Revue philosophique, 39, 1895, p. 517.
  2. Cf. L. Poincaré. La physique moderne. Paris, s. d., p. 33-34. Lord Kelvin. Sur le mouvement, etc. Congrès international de physique de 1900, vol. II, p. 21.
  3. On sait que Newton avait défini la masse par la densité. Cette définition est certainement inacceptable, comme l’ont fait ressortir MM. Thomson et Tait. Cf. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 120.