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transition s’explique par le fait que, pour Kant, l’attraction dans la proportion inverse au carré de la distance et par conséquent la gravitation dans sa conception la plus générale fait partie intégrante du concept de la matière[1]. C’est en somme, on le voit, une démonstration complètement apriorique. Il est juste d’observer que Kant semble avoir éprouvé quelques scrupules en ce qui concerne la transition entre la masse et le poids. Dans les Premiers principes il ne déduit la loi de l’attraction qu’avec certaines réserves, comme « une construction peut-être possible[2]. » Mais les passages de son œuvre postérieure que nous venons de citer prouvent que sa conviction s’est affermie plus tard[3].

Schopenhauer, qu’on a beaucoup cité à propos de cette question[4], n’a fait que suivre Kant ; il a également déduit la conservation de la matière de la persistance de la substance, mais avec moins de clarté que son prédécesseur, se contentant d’affirmer que la substance n’est qu’un synonyme de la matière[5]. Il a cependant reconnu que la pesanteur est une « qualité occulte ». Mais telles sont aussi, d’après lui, toutes les forces fondamentales qui constituent la matière et dont la causalité garantit la persistance[6]. Whewell croit également pouvoir déduire directement la conservation du poids du principe de causalité ; il confond en effet masse et poids, et ce dernier concept, pour lui, fait partie intégrante de celui de substance[7].

  1. Kant, l. c., p. 153. « Ce qui est mobile dans l’espace est donné a priori comme attraction et répulsion, car autrement aucun espace ne pourrait être rempli. » Kant en déduit que la pondérabilité a appartient aussi bien à la métaphysique de la nature qu’à la physique et par là à la transition de la première à la seconde. » Cf. ib., p. 15 où cette attraction est définie comme s’exerçant dans la proportion inverse du carré de la distance.
  2. id., Premiers principes, p. 52. Il affirme cependant le principe de l’attraction comme apriorique (p. 41, 50).
  3. Kant est, en général, moins « dynamiste » dans l’Uebergang que dans les Metaphysische Anfangsgruende ; ainsi il n’attribue plus la cohésion à l’action d’une force d’attraction, mais à celle du milieu. Cependant, c’est à tort, à notre avis, que M. Rosenberger (Geschichte, vol. III p. 41-42) croit qu’il était parvenu à déduire de la même manière l’action de la gravitation. Au contraire, à ce point de vue, sa conviction semble être devenue plutôt plus absolue.
  4. Cf. par exemple Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 283.
  5. Schopenhauer. Ueber die vierfache Wurzel des Satzes vom zureichenden Grunde, Werke, éd. Frauenstaedt. Leipzig, 1877, vol. I, p. 43-44.
  6. Ib., vol. II, p. 95.
  7. Whewell. The Philosophy of the Inductive Sciences. Londres, 1840, p. 30. — Cf. Maxwell. Scientific Papers, vol. II, p. 531.