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quantitatives reposent en dernière instance sur ces constantes si insuffisamment connues encore ; le chimiste n’isole que très rarement les constituants d’une combinaison, il les amène dans d’autres combinaisons et détermine leur poids indirectement par des calculs dont les poids atomiques sont la base. La précision de ses résultats, dans le cas le plus favorable, ne saurait donc dépasser celle de ces données fondamentales.

Là où l’on s’est appliqué à vérifier directement et avec précision la conservation du poids dans les phénomènes chimiques, on n’est pas toujours arrivé à des résultats confirmant absolument ce principe. On sait que des anomalies ont été constatées, assez récemment, par M. Landolt[1]. Les résultats du chimiste allemand, quoique parfois contestés[2], paraissent avoir été accueillis en général sans trop de scepticisme par le monde scientifique[3].

Il ressort, semble-t-il, des données que nous venons de résumer brièvement, qu’à l’heure actuelle encore la certitude dont nous paraît revêtu le principe de la conservation de la matière est très supérieure à celle que comporteraient les expériences qui sont censées lui servir de fondement. Ainsi la théorie de John Stuart Mill et de Littré ne s’adapte ni à la genèse du principe dans l’histoire, ni à sa situation réelle dans la science contemporaine. Le principe de la conservation de la matière, comme l’a bien vu Maxwell, doit « reposer sur un fondement plus profond que les expériences qui l’ont suggéré à notre esprit[4] ».

Le principe serait-il donc apriorique ? Il semble que ce soit là l’opinion la plus répandue de nos jours parmi les savants et les philosophes, opinion tantôt nettement énoncée, tantôt implicitement affirmée. D’ailleurs, à l’encontre de ce qui nous est arrivé pour l’inertie, nous n’aurons pas à chercher longuement le fondement de cette opinion : tous ceux qui se sont

  1. Cf. A. Heydweiller, Wiedemann’s Annalen, V, 1891, p. 394 ss. M. Landolt a publié plus récemment une série d’observations très minutieuses qui semblent confirmer ses résultats antérieurs (Sitzungsberichte der Kgl. preuss. Akademie der Wissenschaften, 1906, VIII). On y trouvera (p. 3 ss. du tirage à part) la discussion des résultats d’autres observations.
  2. Cf. Lo Surdo. Il Nuovo Cimiento, juillet 1904, p. 45.
  3. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 283.
  4. Maxwell. Whewell’s Writings and Correspondence, Scientific Papers. Cambridge, 1890, vol. II, p. 531.