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principe comme d’une sorte d’hypothèse provisoire, « hypothèse de travail », se réservant de confirmer ou d’infirmer cette supposition au cours de ses expériences ; mais il suffit de parcourir ses œuvres pour se convaincre qu’il n’en est point ainsi, que, tout comme les anciens et comme Jean Rey, il applique le principe en toute certitude, ne doutant pas un seul instant que l’expérience ne doive le confirmer, que toute anomalie ne doive être qu’apparente et trouver son explication. Il lui arrive parfois, au cours d’une série d’expériences, de peser directement une matière dont il avait d’abord déterminé le poids par voie indirecte. Il estime cette vérification utile car « il n’est jamais permis, en physique, de supposer ce qu’on peut déterminer par des expériences directes. » Mais il indique en même temps que la conclusion d’après laquelle le poids du corps en question devait être égal à la somme des poids de ses composants lui paraît « évidente » et « était facile à prévoir a priori[1] ». On ne peut même pas affirmer que le triomphe définitif du principe fût dû à des expériences très probantes. Prenons un travail postérieur de Lavoisier, un des plus justement célèbres, celui qui porte le titre Expériences sur la respiration des animaux etc.[2]. Il a chauffé, pendant douze jours, 4 onces de mercure, dans un appareil contenant 50 pouces cubiques d’air commun. Au bout de ce temps il a constaté qu’un sixième environ de l’air avait disparu, alors qu’il s’était formé 45 grains de mercure précipité per se ou chaux de mercure. Les ayant soigneusement rassemblés, il les a mis dans une petite cornue en verre dont le col recourbé s’engageait sous une cloche remplie d’eau, et a procédé à la réduction. Il constate qu’il retrouve par cette opération « à peu près la même quantité d’air qui avait été absorbée pendant la calcination, c’est-à-dire 8 à 9 pouces cubiques environ » et qu’en ajoutant cet air (qui était ce qu’il a appelé plus tard de l’oxygène — il le qualifie d’air « éminemment respirable ») à celui qui avait été « vicié par la calcination du mercure », il rétablit ce dernier « assez exactement dans l’état où il était avant la calcination, c’est-à-dire dans l’état de l’air commun ». Il conclut que c’est là « l’espèce de preuve la plus complète à laquelle on puisse arriver en chimie, la décomposition de l’air et sa recomposition. » Il est évident cependant, par ses

  1. Lavoisier, l. c., p. 52-53.
  2. Lavoisier. Expériences sur la respiration des animaux etc., Œuvres. Paris, 1862, vol. II, p. 175 ss.