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l’Académie Trudaine, Macquer, Leroy et Cadet) que M. Lavoisier a soumis tous les résultats à la mesure, au calcul, à la balance, méthode rigoureuse qui, heureusement pour l’avancement de la chimie, commence à devenir indispensable dans la pratique de cette science[1]. »

Les nouvelles conceptions ne triomphèrent que lentement. Même après que la composition de l’eau fut connue et que Lavoisier put établir une théorie embrassant tous les phénomènes que nous comprenons actuellement sous le nom de « phénomènes d’oxydation », la résistance ne cessa point. Ni Scheele, ni Priestley, ni Cavendish n’adhérèrent jamais. Si l’on étudie les polémiques, on constate qu’il n’y est pour ainsi dire pas question du principe de la conservation de la matière. Mais il est certain que ce principe était en jeu. Les uns faisaient valoir des arguments de quantité, en affirmant implicitement que toutes autres considérations devaient leur céder le pas : les autres mettaient en première ligne des arguments fondés sur la qualité, ce qui était dénier au principe la position dominante et par conséquent nier son essence même. Le triomphe final de la théorie de Lavoisier fut aussi celui du principe de la conservation de la matière.

Ce principe est-il d’origine empirique ? On l’a souvent affirmé, et John Stuart Mill notamment a formulé cette thèse avec beaucoup de clarté. D’après lui, la conservation de la matière nous est suggérée dès le début pour ainsi dire de nos observations par un grand nombre de phénomènes concordants, alors que d’autres, au contraire, paraissent la contredire. On a formulé l’hypothèse que ce principe serait non pas partiellement, mais entièrement vrai, et l’on a vérifié après coup. La vérification ayant réussi, le principe s’est trouvé établi, exactement comme toute autre loi expérimentale[2].

Littré s’est exprimé d’une manière analogue. « L’axiome essentiel du matérialisme, c’est l’éternité de la matière, à savoir qu’elle n’a point eu d’origine et qu’elle n’aura point de fin. On sait que telle n’a point toujours été l’opinion des philosophes et qu’on a cru jadis aux créations et aux destructions de substances. Et en effet comment sommes-nous arrivés à cet axiome qui a maintenant un ascendant irrésistible sur notre esprit ? Par l’expérience, a posteriori[3]. »

  1. Lavoisier. l. c., p. 663.
  2. J. S. Mill. A System of Logic, etc. Londres, 1884, p. 163.
  3. Littré. La science au point de vue philosophique, 3e éd. Paris, 1873, p. 322.