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chaleur « unie avec très peu de phlogistique » se transforme en lumière ; mais surchargée d’une quantité plus grande du même phlogistique, elle devient air inflammable, c’est-à-dire hydrogène[1]. On peut encore apercevoir, chez Lavoisier lui-même, les traces de conceptions analogues. C’est ainsi qu’il considère les gaz, et surtout l’oxygène, comme résultant de la combinaison d’une matière pondérable avec un fluide impondérable, le calorique. Et ce n’est pas là une pure image. Berthelot a noté avec beaucoup de justesse que Lavoisier considérait réellement la chaleur comme un élément matériel constitutif des gaz et que la conception qu’il avait de ces derniers se confondait chez lui, par une série d’intermédiaires hypothétiques, avec celle des fluides impondérables[2]. C’est ainsi que, dans l’énumération des substances simples, la lumière et le calorique sont cités côte à côte avec l’oxygène et l’azote[3], et que la combustion apparaît comme une véritable substitution du calorique[4].

On peut dater l’instauration définitive du principe de la conservation de la matière du mémoire de Lavoisier sur le Changement de l’eau en terre, qui parut dans les Mémoires de l’Académie pour 1770, publiés en réalité seulement en 1773[5]. Sans doute, le principe ne s’y trouve énoncé nulle part. Mais Lavoisier l’emploie implicitement, recherchant en première ligne les rapports de poids, traitant d’arguments sans réplique les considérations qu’il en tire. Dans le travail que nous venons de mentionner Lavoisier se propose de contrôler l’affirmation de plusieurs chimistes du xviiie siècle, d’après

  1. Berthelot, l. c., p. 88 et 96.
  2. Ib., p. 43, 97.
  3. Dictionnaire de chimie de l’Encyclopédie méthodique (de Guyton de Morveau), vol. In p. 638. De même chez Lavoisier, dans les tableaux du Traité élémentaire de chimie (Œuvres, vol. I, p. 149, 152, 155. 157, etc.) le calorique apparaît, parmi les éléments, suivi de l’oxygène, de l’hydrogène, etc. La lumière n’est pas citée, mais dans le texte du même traité (p. 141), il est question de sa « grande affinité avec l’oxygène » et de ce qu’elle « se combine avec quelques parties des plantes et que c’est à cette combinaison qu’est due la couleur verte et la diversité de couleurs des fleurs ».
  4. Lavoisier, l. c., p. 52. « Cette expérience prouve, d’une manière évidente, qu’à un certain degré de température, l’oxygène a plus d’affinité avec le phosphore qu’avec le calorique ; qu’en conséquence le phosphore décompose le gaz oxygène, qu’il s’empare de sa base et qu’alors le calorique devient libre. » Cf. ib., p. 65, 78, 141.
  5. Lavoisier. Premier mémoire sur la nature de l’eau, etc. Mém. Acad., 1770, p. 73. Œuvres, vol. II, p. 1.