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même pas la peine d’expliquer le changement de poids, tellement ce phénomène leur paraît dénué d’intérêt[1]. Stahl se contente de constater que le poids des métaux qu’on calcine augmente, « bien que » (quamvis) le phlogistique s’en aille[2]. D’ailleurs Stahl adopte l’opinion de Lémery, d’après laquelle le métal calciné et réduit ensuite pèse moins que primitivement[3]. Macquer encore, en 1778, considère ce fait comme hors de doute, sans d’ailleurs supposer le moins du monde, tout comme ses prédécesseurs, que cette constatation permette de conclure à une perte de la matière du métal[4] : c’est qu’apparemment il considère le poids comme une propriété purement accidentelle, susceptible d’être modifiée.

Rien de plus caractéristique au point de vue de cet état d’esprit que cette déclaration de Macquer, considéré à ce moment comme le plus autorisé parmi les chimistes français, à la nouvelle que Lavoisier allait s’attaquer à la théorie du phlogistique. Macquer avouait qu’il avait été inquiet un moment, mais il s’était tranquillisé sur le sort de cette théorie, ayant appris que Lavoisier puisait ses objections uniquement dans des raisons de quantité[5].

On sait que certains parmi les adversaires de Lavoisier, et dans ce nombre ses contemporains les plus illustres, Priestley et Cavendish, sont restés impénitents jusqu’au bout et, chose remarquable, Cavendish, qui pourtant dans ses expériences usait de la balance avec beaucoup d’attention, ne croyait manifestement pas à la conservation de la matière[6]. Mais nulle part la différence entre ces conceptions et les nôtres, le peu d’importance qu’on attribuait aux considérations de poids, la facilité avec laquelle on acceptait l’intervention de corps « impondérables » ne se manifestent peut-être aussi clairement que dans l’œuvre de l’homme qui, médiocre théoricien, fut probablement le « découvreur de faits » le plus prodigieux de cette merveilleuse époque. Pour Scheele, la chaleur est un composé de phlogistique et d’air du feu (oxygène). Il croit les deux composants pesants ; mais il n’en suppose pas moins qu’ils peuvent donner naissance à un corps impondérable. La

  1. Kopp, l. c., vol. III, p. 124.
  2. Ib., p. 127.
  3. Ib., p. 141.
  4. Ib., ib.
  5. Ib., vol. I, p. 223.
  6. Cf. Berthelot. Lavoisier, 2e éd. Paris, 1902, p. 41 et 122.