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Boyle[1]. Si, contrairement à ce qui se passa pour l’air, cette conception ne fut pas aussitôt généralement acceptée, cela tient sans doute à ce que la matière hypothétique que l’on désignait sous ce nom de « feu élémentaire » paraissait être d’une nature particulière. Cependant cette conception se répandit peu à peu. Au xviiie siècle Duclos, Homberg[2], en étaient partisans et, chose remarquable, ceux qui professent cette opinion raisonnent instinctivement (tout comme Boyle) comme s’ils supposaient le principe de la conservation de la matière. « Dans l’analyse des corps inflammables, dit Berkeley après avoir commenté les expériences de Homberg, le feu ou soufre est perdu, et la diminution du poids indique la perte. Le feu ou vinculum disparaît, mais n’est pas détruit[3]. » Rien de plus correct aussi, à ce point de vue, que le raisonnement de Mussenbrœk[4]. Il recherche, comme Jean Rey, la cause de l’augmentation de poids que subissent certains métaux quand on les chauffe. Il rejette l’hypothèse d’après laquelle cette augmentation proviendrait des « parties salines acides ou huileuses du feu ». En effet, l’augmentation a été constatée pour l’antimoine chauffé à l’aide d’un miroir ardent ; or, les rayons du soleil forment le feu le plus pur. Donc, c’est le feu élémentaire lui-même qui doit être pesant. On pourrait, il est vrai, objecter que l’accroissement du poids est trop considérable ; mais « on ne connaît pas le poids d’un rayon de soleil ». Ce sont là des opinions assez généralement répandues dans la seconde moitié du xviiie siècle. Ainsi Diderot dira que « le feu de nos fourneaux augmente considérablement le poids de certaines matières, telles que le plomb calciné[5] ». Cependant, il faut prendre garde de s’exagérer la portée de ces raisonnements ; ceux qui en usent ne les estiment pas, à beaucoup près, aussi péremptoires qu’ils nous apparaissent, et il est certain que des considérations basées sur la qualité, leur semblent primer de beaucoup les considérations de quantité. Kopp note que la plupart des chimistes, au xviiie siècle, ne se donnent

  1. Boyle, l. c., vol. III, p. 717.
  2. On trouvera un bon résumé de la question telle qu’elle se présentait vers le milieu du xviiie siècle, chez Mussenbrœk. Cours de physique expérimentale, trad. Sigaux de la Fond. Paris, 1769, vol. II, p. 371.
  3. Berkeley. Works, éd. Fraser. Oxford, 1871, vol. II, Siris, § 192. — Le Siris a paru en 1744.
  4. Mussenbrœk, l. c.
  5. Diderot. Pensées sur l’interprétation de la nature, Œuvres. Paris, 1875, vol. II, p. 28.