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théorie il n’y a pas de place pour la conservation du poids. Leibniz encore raisonne quelquefois d’une manière analogue. L’eau contient à volume égal autant de matière que le mercure, seulement à la matière propre de l’eau vient s’ajouter « une matière étrangère non pesante qui passe à travers ses pores » car, conclut-il, « c’est une étrange fiction que de faire toute la matière pesante[1] ». Cependant, Leibniz concevait avec beaucoup de clarté ce que nous désignons actuellement sous le terme de masse[2] ; il serait peut-être exagéré d’affirmer qu’il l’ait « inventé[3] » ; mais il est certain qu’il l’a dégagé des brouillards dont il se trouvait enveloppé chez Descartes.

Huygens affirme nettement que c’est le poids qui mesure la quantité de matière[4]. Newton confirme par des expériences précises[5] que le poids est proportionnel à la masse, ce qui, du reste, ressortait déjà des expériences de Galilée[6]. Newton n’admettait pas de matière impondérable, mais bientôt après lui ce concept s’établit fermement dans la science, ce qui n’était pas pour favoriser l’éclosion du principe de la conservation du poids. Il est, en général, malaisé de se rendre compte quelle était la véritable opinion des physiciens des xviie et xviiie siècles au sujet de ce que nous appelons les phénomènes chimiques. Il y avait là un domaine mal connu, nous dirions presque mal famé, constitué par un amas formidable de faits à moitié mystérieux. Les physiciens ne s’y hasardaient pas volontiers, ou bien, s’ils en parlaient, le traitaient d’une manière tout à fait générale, sans s’occuper pour ainsi dire des constatations dues aux chimistes, ni surtout de leurs théories[7]. La méthode des uns et des autres était aussi totalement différente. Les physiciens suivaient la méthode mathématique, alors que les chimistes s’occupaient de la qualité seule. Robert Boyle est le seul homme de cette époque qui

  1. Leibniz. Opera, éd. Erdmann, p. 767.
  2. Cf. Appendices I, p. 407 ss. et III, p. 425.
  3. Cf. L. Couturat. Sur le système de Leibniz d’après M. Cassirer, Revue de métaphysique, vol. XI, 1903, p. 89.
  4. Huygens. De causa gravitatis, Opera reliqua. Amsterdam, 1728, p. 106. « Demonstrabo… gravitatem corporum praecise sequi proportionem materiae ex qua componuntur. »
  5. Newton. Principes, trad. du Chastellet. Paris, 1759, l. III, prop. 6, p. 17.
  6. Cf. Brillouin. Recherches récentes sur diverses questions d’hydrodynamique. Paris, 1891, p. 37.
  7. Cf. Kopp. Geschichle, vol. Ier, p. 281.