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défaut, l’anomalie pourrait s’expliquer en supposant l’intervention de l’air ; et c’est plutôt, ainsi que du reste le titre l’indique, l’explication de ce phénomène particulier que le principe lui-même qui forme le véritable objet de cet opuscule justement célèbre auprès de la postérité, mais qui demeura complètement ignoré des contemporains.

Il n’est pas trop malaisé, semble-t-il, de se rendre compte pourquoi le clair exposé du médecin de Bazas eut si peu de succès. Sans doute, Rey était un homme inconnu, perdu dans un petit trou de province ; dans ce siècle où les communications épistolaires parmi les savants étaient particulièrement vives, il ne semble avoir été en correspondance avec personne en dehors de Mersenne : le P. Mersenne connaissait décidément tout le monde. Cependant il faut chercher les causes dans la doctrine elle-même. La chimie sortait à peine du brouillard semi-mystique des recettes alchimiques ; elle était entièrement dominée par la conception de l’élément de qualité : nous verrons plus tard quelle était la vitalité de cette théorie, et quelle défense elle était encore en mesure de fournir en réponse aux attaques vigoureuses de Lavoisier et de ses disciples, un siècle et demi plus tard, alors que le domaine des faits connus se trouvait immensément élargi. On comprend que dans ces conditions la théorie de Rey, où il n’était tenu aucun compte de la qualité, ait été écartée pour ainsi dire d’emblée par l’opinion des chimistes. Quant aux physiciens, ils devaient se trouver rebutés par ce fait que Rey, tout en ne formulant aucune théorie de la matière, se mettait en contradiction flagrante avec les deux théories qui se partageaient la direction des esprits à cette époque, dans une question où ces deux théories demeuraient d’accord : Aristote aussi bien que Descartes considéraient le poids comme une qualité accidentelle de la matière, alors que Rey revenait aux idées des atomistes anciens. Aristote et Descartes avaient d’ailleurs raison au point de vue logique, et en un certain sens les conceptions de Rey constituaient une véritable régression.

Les idées de Descartes finirent par triompher dans la science aussi bien que dans la philosophie. « Tous accidents autres que la grandeur ou l’étendue (des corps) peuvent être engendrés ou détruits », déclare Hobbes[1] et l’on voit que dans cette

  1. Hobbes. Elements of philosophy, éd. Molesworth. Londres, 1835, p. 116.