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haut ; il faut prendre garde, en effet, que la matière dont il s’agit dans ce chapitre est la matière terrestre. C’est ce que confirme d’ailleurs le texte du chapitre en question ; il y est dit que « la pesanteur seule ne suffit pas pour faire connoistre combien il y a de matière terrestre en chaque corps ». Ainsi « une masse d’or vingt fois plus pesante qu’une quantité d’eau de mesme grosseur » pourrait bien contenir non pas vingt fois plus de matière, mais quatre ou cinq fois seulement « pource qu’il en faut autant soustraire de l’eau que de l’or, à cause de l’air dans lequel on les pesé ; puis aussi pour ce que les parties terrestres de l’eau, et généralement de toutes les liqueurs, ainsi qu’il a esté dit de celles de l’air, ont quelque mouvement qui, s’accordant avec ceux de la matière subtile, empesche qu’elles ne soient si pesantes que celles des corps durs ».

C’est bien parce qu’il s’agit de « matière terrestre » et non pas de matière en général, qu’il ne saurait plus être question d’assimiler sa quantité au volume. Il est à remarquer qu’au moment où Descartes écrivait, la pesanteur de l’air était déjà à peu près généralement reconnue. Gorlaeus[1], Carpentarius[2], Galilée[3] l’avaient supposée et Descartes lui-même s’en montre convaincu. Mais, on vient de le voir, cela ne suffit point pour lui faire concevoir cette idée, que la pesanteur est un attribut essentiel, immuable de la matière. C’est qu’il reste encore le feu, et cet élément-là, Descartes, tout comme les scolastiques, le croit dénué de poids. « Ostons-en la pesanteur », dit-il en cherchant à déterminer ce qui « constitue la nature du corps », « pour ce que nous voyons que le feu, quoy qu’il soit tres-leger, ne laisse pas d’estre vn corps[4]. »

La conception de Descartes présentait, sur celle des anciens atomistes, l’immense avantage théorique de dissocier complètement les deux concepts de masse et de poids. Mais, bien entendu, la constance du poids devenait difficile à admettre. Descartes aurait probablement admis même des variations de la masse, puisque, en somme, ses divers éléments sont composés de la même matière.

Avant la publication des Principes, mais à un moment où l’autorité de Descartes commençait déjà à être reconnue,

  1. Gorlaeus. Exercitationes philosophicae, etc. Leydc, 1620, p. 154, 332.
  2. Carpentarius. Philosophia libera. Oxford, 1622, p. 66.
  3. Galilée. Alcuni scritti inediti, etc., éd. Favaro. Bulletino di bibliografia, etc., vol. XVI. Rome, 1885, p. 28, 53, 95.
  4. Descartes. Principes. IIe partie, chap. XI.