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philosophie des formes substantielles. Aussi ne trouve-t-on nulle part de tentative dans ce sens et, sans doute, la tâche étant bien plus ardue que celle qui consistait à dégager le principe d’inertie, il est naturel que, dès qu’il y eut progrès réel, il se soit accompli plutôt dans cette dernière direction.

Mais, dès qu’on s’écarte d’Aristote, le concept de masse se forme, Képler en saisit le contenu essentiel[1] et, mieux encore, Descartes. Il est vrai qu’en toute occasion (comme par exemple quand il explique les lois du choc) Descartes affecte de parler de la grandeur des corps[2] ; et cette expression ne laisse pas que de paraître troublante quand on se rappelle sa théorie de la matière. On sait que Descartes, tout comme les scolastiques — les plus grands révolutionnaires sont toujours conservateurs par quelque côté — était partisan du plein. L’étendue était pour lui l’unique attribut essentiel de la matière, la gravitation étant un phénomène secondaire qui demandait à être expliqué et qu’il expliquait en effet, par les mouvements d’une de ses substances élémentaires. Le poids, tout comme chez les scolastiques, est un accident. La quantité réelle de la matière est indiquée par le volume : « Lorsqu’un vase, par exemple, est plein d’or ou de plomb, il ne contient pas pour cela plus de matière que lorsque nous pensons qu’il est vide[3]. » Cependant Descartes, en réalité, distinguait parfaitement la masse du volume, en supposant que, pour les mouvements mécaniques, la quantité de son troisième élément comptait seule[4]. On pourrait croire qu’il concevait la proportionnalité de la masse (ainsi comprise) et du poids ; mais cette idée était loin de sa pensée, bien que dans la pratique il eût souvent fait usage du poids dans ce sens. En effet, le poids étant la conséquence d’un mouvement plus ou moins compliqué, la stricte proportionnalité aurait été l’effet d’un hasard, et même d’un hasard difficilement explicable. Il a d’ailleurs exposé ses idées à ce sujet dans la IVe partie des Principes. Le titre du chapitre xxv porte : « Que leur pesanteur n’a pas toujours même rapport avec leur matière. » Ce n’est pas là, comme on pourrait le supposer, une simple répétition de la phrase que nous avons citée plus

  1. Cf. à ce sujet Appendice III, p. 423-426.
  2. Descartes. Principes. IIe partie, chap. 46 ss.
  3. id. Le Monde. Paris, 1824, p. 234.
  4. id. Principes. IIIe partie, chap. cxxi.