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est certain qu’on n’attribuait à des considérations de ce genre qu’une valeur très secondaire. Wislicenus, résumant les croyances des alchimistes, affirme qu’ils étaient convaincus qu’on pouvait, à l’aide de quantités infimes de magistère, transformer des livres de plomb ou de mercure en quintaux de l’or le plus pur[1]. Il serait probablement difficile d’appuyer directement cette affirmation sur un texte tiré d’un auteur de l’époque ; mais il est certain qu’une proposition de ce genre n’aurait pas paru comporter le merveilleux que nous y apercevons. Si, en somme, on trouve plutôt rarement chez les alchimistes des affirmations concernant le changement de poids, ce n’est pas parce qu’ils le considéraient comme un phénomène rare, mais parce qu’ils n’y attachaient aucune importance ; le moindre changement de qualité leur paraissait sans doute bien plus remarquable. Ces affirmations sont plus fréquentes à des époques postérieures, où les opinions sur cette question se rapprochent bien davantage des nôtres, à cause précisément de cette dernière circonstance. Des récits comme ceux des expériences de Reussing, de Dierbach, de Stahl au xviiie siècle, où l’on voit le poids de la masse primitivement employée s’augmenter d’une quote-part et même doubler presque[2], n’auraient étonné personne au moyen âge ; l’alchimiste eût probablement passé ce détail sous silence, le jugeant inutile pour frapper l’imagination du lecteur.

Si l’on ne croyait pas à la constance du poids, croyait-on à celle de la masse ? On était certainement convaincu que quelque chose d’essentiel dans la matière, sa « substance », persistait à travers les modifications. Mais comme on avait, à juste titre d’ailleurs, dégagé le concept de matière du phénomène de la pesanteur, il devenait infiniment plus malaisé de donner à la matérialité un substrat quantitatif. Il serait pour le moins oiseux de rechercher si, en développant logiquement la doctrine d’Aristote, on eût pu néanmoins parvenir à une conception de la masse permettant la détermination d’un coefficient numérique. La vérité, c’est que le souci des rapports de quantité était absolument étranger à toute la

    ment l’expérience dont on attribue généralement l’honneur à Van Helmont et par laquelle ce dernier entendait démontrer la transformation de l’eau en terre.

  1. Wislicenus. Die Chemie und das Problem der Materie, Rectoratswechsel. Leipzig, 31. Okt. 1893, p. 24.
  2. Cf. sur ces transmutations, Kopp, l. c., vol. II, p. 176-177. Stahl n’est pas le célèbre chimiste, mais un homonyme.