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mations, sont toujours portés à croire, ou bien que l’auteur ne supposait qu’une modification du poids spécifique, ou bien qu’il admettait l’adjonction d’une matière venant de l’air ou du feu ; mais, en réalité, cette adjonction ne paraissait nullement indispensable ; et quant au poids spécifique, on le confondait le plus souvent avec le poids absolu. Cette confusion est encore très fréquente à une époque postérieure ; non seulement Scaliger, au xviie siècle, mais à la veille même de la grande révolution opérée par Lavoisier, Kunckel et Juncker la commettent[1]. Cette erreur, si l’on veut bien y réfléchir, est toute naturelle. Du moment que le poids est non pas une propriété essentielle, mais une qualité accidentelle de la matière, n’est-il pas naturel de supposer qu’au moment où cette qualité se modifie manifestement, c’est-à-dire où le poids spécifique change, le poids total doit changer aussi[2] ? Le chancelier Bacon qui professait sur les qualités de la matière des opinions se rapprochant de celles des alchimistes, a affirmé l’existence de corps absolument légers[3] et le changement de poids par modification de l’état[4] ; bien que, par ailleurs, il ait solennellement proclamé la constance du poids, en empruntant probablement cette idée aux atomistes anciens[5].

On trouve quelquefois, chez les savants de cette époque, des raisonnements impliquant le principe de la conservation du poids. Telle l’expérience de Cusa qui, pour démontrer que la plante tire sa matière surtout de l’eau, pèse une quantité de terre dans un pot, y place des semences qu’il arrose, repèse la terre après que la plante a poussé vigoureusement et constate que le poids est resté presque le même[6]. Mais il

  1. Kopp, l. c., p. 120, 126, 128. Il est curieux que Kopp lui-même ait cédé à la tentation et ait expliqué dans le sens moderne (en ajoutant au terme poids l’adjectif spécifique) un passage d’Albert. (Die Alchemie in aelterer und neuerer Zeit. Heidelberg, 1886, I, p. 17). Il suffit d’examiner sans idée préconçue le passage cité par lui, pour se convaincre qu’Albert entendait bien affirmer une augmentation du poids.
  2. Jean Rey, voulant établir le principe de la conservation du poids, déclare qu’il va « ores porter le démenti a cette maxime erronée, qui a eu cours depuis la naissance de la Philosophie, que les elemens allant mutuellement au change de l’vn à l’autre, ils perdent ou gaignent de la pesanteur, à mesure qu’en ce changement ils se raréfient ou condensent ». (Essays, Réimpression. Paris, 1896, p. 48.)
  3. Bacon. Works. Londres, 1837, vol. I, p. 173 (Sylva sylvarum, § 789).
  4. Ib., vol. II, p. 361 (De augmentis scientiarum, l. V, chap. iii).
  5. id. Novum organon, trad. Buchon. Paris, 1838, l. II, § 40. Cf. Historia densi et rari, Works, vol. II, p. 538.
  6. Cf. Rosenberger. Geschichte der Physik, vol. Ier, p. 107. C’est évidem-