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les alchimistes, des raisonnements fondés sur des considérations de poids. Il se peut que ce fût en partie un héritage datant des origines de cette science, c’est-à-dire d’une époque antérieure à la domination de la philosophie des formes substantielles. On peut aussi supposer que les théories atomiques dont le reflet, nous l’avons vu, se retrouvait dans certains écrits fort répandus, exerçaient une certaine influence. Mais il faut dire aussi que ces raisonnements n’étaient pas en contradiction directe avec la philosophie régnante. Sans doute, il est très difficile de parvenir, par les formes substantielles, au concept numérique du poids ; mais en supposant ce concept donné, — le bon sens et l’expérience quotidienne s’acquittent suffisamment de cette tâche — il n’y a rien que de très naturel à attribuer une certaine importance aux observations relatives au poids, de même qu’on en accorde une aux observations concernant la couleur ou la chaleur des corps. Mais ce qui distingue ces opinions des nôtres, c’est que pour nous les considérations fondées sur le poids priment toutes les autres sans exception. C’était là un ordre d’idées complètement étranger à la science du moyen âge. Il n’est pas rare de trouver, dans les écrits de cette époque, des passages où la constance du poids est plus ou moins directement niée, sans même que l’auteur semble avoir conscience d’émettre une proposition hasardée. C’est ainsi que les alchimistes, parlant de la transmutation, mentionnent quelquefois la modification du poids du métal. « Par notre artifice, dit Geber, nous formons facilement de l’argent avec du plomb ; dans la transformation, ce dernier ne conserve pas son propre poids, mais se change en un poids nouveau ». De même l’étain « acquiert du poids dans le magistère[1]. » Les modernes, devant ces affir-

    que lu et étudié pendant une grande partie du moyen âge (Ib., p. 143), c’est bien de lui, directement ou indirectement, que relève la philosophie de cette période, du moins en ce qui concerne l’étude du monde sensible (Ib., p. 89-91, 177). Mais on ne le connaît qu’imparfaitement, et surtout à travers ses commentateurs néoplatoniciens ; on ne le comprend pas toujours et on l’interprète et le complète avec une certaine liberté (Ib., p. 93). On trouvera, au cours de notre travail, quelques faits qui viennent à l’appui de cette manière de voir. (Cf. notamment p. 298 ss).

  1. Kopp. Geschichte der Chemie. Braunschweig, 1845, vol. III, p. 119. Kopp pense qu’il s’agit de l’augmentation de poids que le plomb et l’étain subissent pendant l’oxydation. Ce serait donc le même phénomène qui a finalement tant contribué à établir la conservation du poids, qui aurait servi primitivement à démontrer le contraire, par suite de l’opinion préconçue qu’à l’oxydation le corps perdait quelque chose.