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sciemment, sur presque tous les points, celle de Leucippe et de Démocrite.

Aristote, tout comme les atomistes, confond, semble-t-il, masse et poids en tant que principe d’action mécanique. Mais, d’autre part, il dissocie complètement les deux concepts de matière et de poids. Le poids est une qualité accidentelle de la matière. Il est la résultante de l’action de deux principes opposés, la pesanteur et la légèreté. « Il y a des choses qui naturellement s’éloignent toujours du centre et d’autres qui, non moins naturellement, sont toujours portées vers le centre… Ainsi donc, nous disons qu’un corps est léger d’une manière absolue quand il est porté en haut et vers l’extrémité, et nous disons qu’il est absolument lourd quand il va en bas, c’est-à-dire vers le centre[1] ». C’est le cas de deux des éléments sur les quatre qu’admet la théorie d’Aristote : « le feu n’a pas de pesanteur, ni la terre de légèreté[2]. » Quant à l’eau et à l’air, ils ont aussi bien pesanteur que légèreté, celle-là prévalant dans l’eau et celle-ci dans l’air. On voit combien, dans cette théorie, ce que nous appelons poids est un concept dérivé. C’est aussi évidemment une propriété accidentelle. Platon, déjà, avait fait ressortir que les éléments se transforment sans cesse les uns dans les autres[3]. D’ailleurs, il est d’expérience journalière que l’air et le feu interviennent dans les transformations de la matière : l’eau qui bout, le bois qui brûle. Aussi Aristote et ses sectateurs rangent-ils la pesanteur avec la couleur et la chaleur.

On sait à quel point ces doctrines prévalurent pendant le moyen âge[4]. On trouve sans doute quelquefois, chez

  1. Aristote. Traité du Ciel, l. IV, chap. ier.
  2. Ib., l. IV, chap. ii, § 7.
  3. Platon. Timée, Œuvres, trad. Collet. Paris, 1845, p. 648. Aristote. Traité du ciel, l. III, chap. iii, § 1. — Cf. l’exposé de la doctrine péripatéticienne chez Galilée. Massimi sistemi, giorn. Iª (Œuvres, Florence, 1842, vol. I, p. 48).
  4. D’après certains travaux récents, la domination de la philosophie péripatéticienne au moyen âge aurait été bien moins absolue qu’on ne le supposait jusqu’ici. M. F. Picavet, notamment, a cherché à établir dans son Esquisse d’une histoire des philosophies médiévales, que le vrai maître de la philosophie du moyen âge a été non pas Aristote, mais Plotin. Cette thèse appuyée par une étude approfondie des textes, a cependant trouvé de nombreux contradicteurs (Ib., p. 110 ss, note). Son adoption ne modifierait pas sensiblement notre exposé. M. Picavet fait ressortir tout ce que Plotin doit à Aristote ; Porphyre déjà avait constaté que « la Métaphysique d’Aristote est condensée tout entière » dans l’œuvre du néoplatonicien (Ib., 49) ; en somme, c’est Aristote qui lui fournit sa logique et sa science du monde sensible (Ib., p. 88, 113). Donc, et bien qu’Aristote soit plus nommé