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pouvons appeler avec plus de précision la tendance causale, parce qu’il manifeste son action en nous commandant de rechercher dans la diversité des phénomène quelque chose qui persiste. La formule constitue, selon l’admirable expression de M. Boutroux, non pas une loi, mais un « moule de lois ».

Nous pouvons tirer, de ce que nous venons d’exposer pour le principe d’inertie, cette conclusion générale : toute proposition stipulant identité dans le temps nous paraît a priori revêtue d’un haut degré de probabilité : elle trouve notre esprit préparé, le séduit et est immédiatement adoptée à moins d’être contredite par des faits très manifestes. Peut-être serait-il bon d’appliquer à des énoncés de cette catégorie, intermédiaires entre l’a priori et l’a posteriori, un terme spécial. Nous proposerions, faute de mieux, le terme plausible. Ainsi donc, toute proposition stipulant identité dans le temps, toute loi de conservation est plausible.

Et l’on ne saurait en vérité, à la lumière des résultats auxquels nous sommes parvenus, assez admirer la force de cette tendance. Le principe d’inertie exige que nous concevions la vitesse comme une substance. Or. c’est une conception entièrement paradoxale pour l’entendement immédiat, suivant lequel la vitesse est un simple rapport et qu’il faut violenter, pour ainsi dire, afin d’établir qu’elle peut être conçue comme une qualité. Comment se fait-il donc que notre esprit accepte si facilement, sans secousse, cette étrange notion ? La réponse ne nous semble pas douteuse : c’est parce qu’elle peut servir à satisfaire la tendance causale. Il suffit que nous puissions concevoir la conservation de la vitesse pour que la nature même de cette notion subisse aussitôt une prodigieuse transformation.

Il faut ajouter cependant que, du moins pour les modernes, la conception du mouvement comme état est fortifiée par les habitudes d’esprit que nous donne le calcul infinitésimal. Elles concourent certainement à nous faire accepter l’idée de la vitesse-dérivée. Mais on peut se demander si, sans le principe d’inertie, ces conceptions mathématiques auraient jamais pu être appliquées à la science du mouvement ; et, tout en admettant que les idées fondamentales sur lesquelles reposent les méthodes de Newton et de Leibniz existaient en germe antérieurement aux travaux de ces savants, on pourrait difficilement, semble-t-il, leur attribuer un rôle actif