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choses. Quand la solution de permanganate de potasse que l’on appelait autrefois « caméléon minéral » change successivement de couleur, nous avons la conviction que ces modifications doivent avoir une cause, qu’elles sont les conséquences de changements qui se sont produits dans la substance colorante ; mais ces modifications elles-mêmes ou, en tout cas, le lien qui les rattache aux changements de couleur, peuvent rester cachés provisoirement. Il n’en est pas ainsi d’un phénomène du mouvement ; il n’y a rien « derrière ». Par conséquent, si le mouvement est un état, s’il doit se maintenir comme tout état, nous pouvons l’énoncer sous une forme absolue, en faire un principe, sans avoir à craindre l’intervention d’aucun agent mystérieux.

C’est ainsi que le mouvement devenu état se transforme aussitôt en entité, en substance, c’est-à-dire qu’en vertu du principe de causalité, notre esprit manifeste l’invincible tendance à maintenir son identité dans le temps, à le conserver. Le corps qui se déplace est « en état de mouvement ». Ce qui distingue cet état des autres, ce qui en constitue, pour suivre notre image, la nuance particulière, c’est la vitesse. Quand nous avons bien saisi cette idée, nous admettons aussitôt que la vitesse n’est pas un quotient, qu’elle n’a pas besoin de limites, mais qu’elle existe dans chaque fraction du temps si petite que nous la voulions, qu’elle est une dérivée. Et c’est ainsi la vitesse dont nous énonçons la conservation.

Voilà, semble-t-il, le vrai fondement du principe. Et quoique la possibilité d’une preuve expérimentale existe, c’est bien cet argument qui crée notre conviction si forte, si différente de celle avec laquelle nous accueillons les formules purement empiriques. C’est aussi ce sentiment obscur qu’il y a au fond du principe autre chose que de l’empirie pure, qui explique qu’on ait cherché si obstinément des démonstrations aprioriques. Par conséquent, Descartes a dévoilé l’essence du principe en le rattachant à « l’immutabilité de Dieu », à la conviction que toute chose persiste dans la nature. Il a donc non seulement le mérite d’avoir, le premier, proclamé hautement le principe, mais encore celui d’en avoir indiqué le véritable fondement. Nous avons vu, d’ailleurs, que toutes les tentatives de déduction apriorique que nous avons examinées sont également fondées sur le principe de l’identité dans le temps. Il est très curieux, à ce point de vue, d’observer la forme que Kant donne au principe. Il l’énonce : Tout ce qui