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point à se mouvoir de soy-mesme. Mais lorsqu’elle a commencé une fois de se mouvoir, nous n’avons aussi aucune raison de penser qu’elle doive jamais cesser de se mouvoir de mesme force pendant qu’elle ne rencontre rien qui retarde ou qui arreste son mouvement. » Après avoir ainsi établi la perpétuité du mouvement, Descartes stipule, par une formule spéciale, qu’il doit se continuer en ligne droite. C’est sa deuxième loi et il l’énonce comme suit : « Tout corps qui se meut tend à continuer son mouvement en ligne droite », en remarquant simplement dans le texte du XXXIXe chapitre dont cette formule constitue le titre : « Cette règle, comme la précédente, dépend de ce que Dieu est immuable. »

Cette argumentation a certainement suffi pour forcer l’assentiment des contemporains : le principe d’inertie, presque immédiatement, domina la science, et ce en dépit de l’accoutumance tant de fois séculaire aux doctrines antagonistes d’Aristote. On s’en est quelquefois étonné, à tort suivant nous, Descartes, en précisant ce qui n’était qu’obscurément sous-entendu chez Galilée, a réellement et clairement exposé ce qui constitue le véritable fondement de l’inertie, ce par quoi ce principe s’impose à notre esprit.

Nous avons vu qu’à l’origine le concept de la vitesse n’est qu’un rapport entre deux termes limités, et que le mouvement apparaît comme un changement, analogue au changement de couleur. Il n’en est plus ainsi pour nous : le mouvement nous apparaît comme un état, analogue par conséquent non au changement de couleur, mais à la couleur elle-même.

On voit que cette conception se rapproche de celle de Themistius et de Cardan, pour qui l’impulsion communiquée à un corps est quelque chose d’analogue à la chaleur. On peut dire qu’il eût suffi de considérer, dans ce cas, la chaleur comme une substance ou comme un accident substantiel (ce qui était d’ailleurs, comme on sait, assez conforme à la doctrine péripatéticienne), pour que le principe d’inertie fût créé.

Cette conclusion peut sembler paradoxale. En effet, nous ne connaissons pas de principe de conservation de la couleur et, depuis la ruine de la théorie de Black, nous ne croyons plus à la conservation de la chaleur. Mais il y a, nous l’avons vu, une différence profonde entre les phénomènes du mouvement et tous les autres : ceux-là nous paraissent simples, primaires, ceux-ci, compliqués, secondaires, susceptibles d’être expliqués par les premiers qui doivent constituer le fond des