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traire, on voulait de la partie basse le pousser en haut, il nous faudrait lui conférer une impulsion (impeto) laquelle ira toujours en diminuant et s’annihilera finalement ; mais si le plan n’est pas incliné, mais horizontal, un tel solide rond posé sur lui fera ce qui nous plaira, c’est-à-dire que si nous le posons en repos, il restera en repos, et que si nous lui donnons une impulsion dans quelque direction, il se mouvra vers celle-ci, en conservant toujours la même vitesse qu’il aura reçue de notre main, n’ayant pas le pouvoir (azione) de l’accroître ni de la diminuer, étant donné qu’il n’existe dans un tel plan ni descente ni montée[1] ».

On aperçoit aisément que s’il devait y avoir là une preuve expérimentale, elle ne s’appliquerait qu’au mouvement horizontal ; et, même dans ces limites, elle serait singulièrement faible. On admettra que le mobile, en remontant un plan si peu incliné qu’il soit, diminuera de vitesse. On admettra également qu’il restera en repos sur un plan horizontal. Mais il ne s’ensuit aucunement qu’il doive toujours descendre, avec une vitesse constamment accrue, un plan si peu incliné qu’il soit. Supposons, en effet, avec Aristote, que le mouvement par impulsion ne se continue que par l’agitation du milieu ou, avec Benedetti, que l’impulsion s’éteigne peu à peu ; dans les deux cas, nous aurons ce que nous appellerions aujourd’hui une « accélération négative » et il nous faudra une certaine accélération positive pour rétablir l’équilibre, c’est-à-dire que le mouvement deviendra uniforme pour une certaine inclinaison du plan ; c’est à peu près la manière de voir de Pappus et l’on sait d’ailleurs que l’expérience directe, étant données les aspérités du plan et du mobile et la résistance de l’air, tendrait plutôt à confirmer une conception de ce genre. Mais la façon même dont Galilée présente les choses n’indique-t-elle pas clairement qu’il s’agit d’expériences non pas réelles, mais « de raisonnement », de ce que les Allemands appellent « expériences de pensée » (Gedankenexperimente) : c’est dans son imagination que Galilée établit le plan infiniment lisse, c’est là qu’il l’incline de moins en moins, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre : c’est pourquoi aussi il ne croit pas nécessaire de nous indiquer une seule donnée précise, un seul chiffre résultant de ces expériences. D’ailleurs, Galilée a pris soin de nous en avertir lui-même. Le pas-

  1. Galilée, ib., vol. XIII, p. 323.